Mission Mermaid - Déferlement
Autrice auto-éditée : Angélique CADET
ISBN : 978-29-59 172-80-9
Mis en ligne par | Lectivia |
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Dernière mise à jour | 06/09/2024 |
Temps estimé de lecture | 2 heures 38 minutes |
Lecteur(s) | 6 |
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Chapitre 56
Une alerte retentit soudain.
— Qu’est-ce qui se passe ? demandais-je à Elma.
— Himaya est en danger ! Eragot a déclenché d’alarme ! L’Oracle nous prévient d’une attaque imminente, panique Elma. Je vois les ondines évacuer les enfants, Ilana escorter les créatures fragiles hors du royaume. Une petite armée de sirènes et d’ondines se forme rapidement autour du palais. J’aperçois
au loin une créature géante dotée de nombreux tentacules.
— Le kraken ! s’exclame Elma.
Il y a une différence entre voir les guerres à la télé et s’y trouver confrontée en réalité. Tout se déroule au ralenti, pas de musique dramatique, pas de gros plan, juste un foutu bordel. On sent son cœur battre au point d’exploser. Pendant un instant, on est absent, déconnecté de la scène.
On a même le temps de se dire : « Mais qu’est-ce que je fous là ? »
***
Le gardien vient vers nous pour m’éclairer avec sa lampe torche et nous interrompt :
— Hey, petite ! Il est tard, tu devrais rentrer chez toi.
— OK…, acquiescais-je.
Ne t’inquiète pas, je reviendrai bientôt. Promis ! Je te cueillerai des fleurs du jardin de mamie.
— Alia ! crie quelqu’un près du portail.
Le gardien l’éblouit avec sa lumière. Mais… Qu’est-ce qu’elle vient faire ici ?!
- Fin du chapitre et de l'histoire -
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Le bateau quitte le port. On a vite fait le tour du catamaran. Il fait bon, pas trop de vent, pas trop de soleil. Nous contemplons l’horizon, l’océan à perte de vue, on espère croiser des baleines. J’ai pour mission d’occuper Iris pendant que Mme Payet décore le gâteau. Nous sommes assises à l’avant du bateau et je lance l’opération « Distraire Iris pour gagner du temps ».
— J’ai un jeu ! m’exclamé-je.
— Lequel ?
— Tu as dix-sept ans, alors tu dois faire dix-sept projets. Tu as un an pour tous les réaliser, jusqu’au jour de tes dix-huit ans.
— Et si je ne les réalise pas ? m’interroge-t-elle.
— Tu as perdu.
— Perdu quoi ?
— Tu as perdu, c’est tout. Prête ?
— Projet numéro 1 : souffler sur mes dix-sept bougies et faire un vœu…
— OK.
Ainsi, Iris a pour projets d’adopter un petit chaton, réussir son Bac, se teindre les cheveux en mauve, passer son permis, nager avec les dauphins, écrire un conte pour enfants, aller à Disneyland, faire un petit potager, lancer sa chaîne YouTube
« La vie secrète des profs », avoir sa première cuite, faire du bénévolat, avoir une peluche licorne géante, voler en parapente, regarder la dernière saison de Jane the Virgin (9), commander la robe de cendrillon sur Wish et chanter à une soirée karaoké. Quel esprit vif et créatif ! Dix-sept raisons de plus qui font que je ne pourrai jamais cesser de l’aimer. J’approuve chacun de ses choix dans un éclat de rire et me dis que ma meilleure amie est une fille incroyable.
Arrive le moment que je préfère dans un anniversaire : le rituel du vœu. Un brin ridicule, mais tout le monde le fait quand même. C’est bon d’y croire un quart de seconde. Une façon de maintenir l’espoir en la vie. Alors qu’Iris se prépare, son visage s’illumine. Elle retient sa respiration un instant, comme pour secouer les dés avant de les lancer, et d’un seul coup elle souffle de toutes ses forces avec conviction sur les bougies. Se dit-elle, cette fois-ci : « Mon vœu se réalisera » ?
— Joyeux anniversaire, Iris…, dis-je, le cœur battant la chamade, en lui offrant le cadeau le plus pourri de son existence.
— Merci, il est magnifique, Alia. Je n’ai jamais vu un coquillage aussi beau, répond-elle, le sourire aux lèvres.
Elle a le même sourire que pour les places de concert.
BINGO ! Un rire nerveux s’empare de moi. Je suis si soulagée de voir son engouement pour ce collier fait maison. J’adore aussi Iris pour sa simplicité. Elle sait trouver une beauté en toute chose, aussi petite et simple soit-elle. J’attache le bijou naturel autour de son cou pendant qu’elle déballe ses autres paquets.
(9) Série télévisée américaine diffusée entre 2014 et 2015. Une des meilleures séries au monde, selon moi.
- Fin du chapitre -
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Pour ce samedi, le ciel est dégagé et il fait beau. Toutes les conditions sont réunies pour passer une bonne journée. Je m’apprête à rejoindre Iris, quand ma mère m’interpelle à l’entrée :
— Chérie, qu’est-ce que tu vas offrir à Iris, cette année ?
Je suis prise d’un vif vertige, j’ai oublié de lui trouver un cadeau d’anniversaire !! Comment j’ai pu zapper ? Je suis une meilleure amie lamentable. Pour son seizième anniversaire, je lui avais fait une surprise incroyable ! Je l’avais emmenée voir sa chanteuse préférée, Lya (8). T’aurais dû voir sa tête ! Je me souviens, elle n’avait pas cessé de me remercier : « Merci, Alia, t’es la meilleure amie du monde ! », « Merci, c’est le plus beau cadeau que j’ai jamais eu », « Oh, Alia, merci, merci ! »
J’ai eu droit à des remerciements avant, pendant et après le concert. Je sais, parfois, elle en rajoute. Je ne peux pas me permettre d’arriver les mains vides. T’imagines la déception ? Il faut que je trouve un truc et vite !
Sans même prendre le temps de répondre à ma mère, je cours jusqu’à ma chambre et cherche désespérément du regard quelque chose que je pourrais offrir. Une de mes nombreuses paires de lunettes de soleil qui prennent la poussière sur l’étagère au-dessus de mon lit ? Bof. Quoique…, le vintage revient à la mode. Une photo de mon défunt chat encadré ? Trop glauque, j’avoue. Le coquillage de la petite plage ? Bon…, ça peut le faire ! Plus une minute à perdre, j’improvise le bijou le plus pourri de l’histoire des cadeaux des meilleures amies de l’univers. Je prends un ruban doré qui traîne dans le tiroir de mon bureau et j’enfile le coquillage dessus. Je fais de mon mieux pour éviter la catastrophe. « Oh, quel beau collier ! »
Énième mensonge à moi-même. Au point où j’en suis, je peux arrêter de compter.
J’arrive au port de Saint-Gilles. J’aime cet endroit. Il me fait penser à un labyrinthe, avec ses différents étages, ses passerelles, ses quais, ses restaurants et tous ces escaliers qui finissent par les réunir. J’adore le port miniature aussi et son petit ruisseau. Une fois, avec mon mini bateau pirate, j’ai pu m’approcher des canards sauvages. Je croise un vieil homme sous un arbre en face de l’église. Il joue de l’harmonica et ne s’arrête que pour faire la discussion.
— Bonjour, jeune fille ! Comment vas-tu ?
— Bien, merci.
— Belle journée pour une balade en mer.
— C’est vrai, réponds-je d’un ton léger en lui rendant son sourire.
Ce monsieur est charmant. Je dépose une pièce dans sa casquette qui se trouve devant lui. Il reprend sa mélodie avec son instrument. La musique est festive, j’aurais aimé le regarder jouer plus longtemps. Mais Iris m’attend. Je prends le passage le plus rapide et rejoins enfin le catamaran.
— Bonjour, Alia, c’est toujours un plaisir de te voir ?
Comment vas-tu ? me demande M. Payet.
— Très bien, merci, réponds-je.
— Bonjour, ma chérie ! s’exclame la mère d’Iris.
— Bonjour, madame Payet.
J’ai toujours ressenti une profonde admiration pour les parents d’Iris. Ils sont exemplaires, gentils, attentionnés, toujours bien assortis et fous amoureux l’un de l’autre. Le genre de couple qui fait rêver pour une vie future. Ils ont poussé leur amour sincère jusqu’à trouver un catamaran du nom de Marie, le deuxième prénom d’Iris. Marie Iris, c’est beau, hein ?
L’iris est une fleur violette au cœur jaune qui veut dire « arc- en-ciel » en latin. Un jour, j’ai googlisé « Alia » et la réponse m’a surprise. Ce prénom symbolise une femme joyeuse, dynamique et bavarde. Quoi ? Je n’invente rien, Iris aurait très bien pu s’appeler Alia aussi. Moi, j’aurais pu m’appeler…, je ne sais pas trop…, ÈVE ! Nan, je rigole ! Désolée, où est-ce que j’en étais déjà ? Ah oui…
J’aperçois Mickaël à l’autre bout du catamaran et il se dirige vers nous.
— Tu es ravissante, Alia, déclare Mickaël.
— Merci ! répliqué-je, gênée, les joues en feu et avec cette envie de m’enfuir.
Oh, punaise, quelle carrure ! Il a pris des muscles depuis la dernière fois que je l’ai observé. Il m’impressionne.
Qu’est-ce qui te prend, Alia ? C’est Mickaël, t’enflamme pas. Il fait un pas vers moi et je recule de deux. Il a l’air plus charismatique encore avec son torse nu, son bronzage, ses abdos, la sueur qui coule sur ses pectoraux… J’ai chaud à mon
tour. Sans m’en rendre compte, je m’en mords les lèvres.
Faut que j’arrête de fixer son corps comme ça, il va me trouver bizarre.
Pourquoi est-il si gentil avec moi ? D’habitude, il est le premier à me mettre mal à l’aise, à me rabaisser, à me lancer des piques. On était presque en guerre, ces dernières années…
L’année dernière, lors de la soirée d’Halloween dans la villa de ma cousine Chelsy, il a glissé des cafards en plastique dans mon lit. Une blague assez puérile pour un garçon qui s’apprêtait à entrer à l’université. Cette nuit-là, j’ai hurlé tellement fort que le voisin de Chelsy a même appelé la police. Je me suis longtemps demandé pourquoi il avait besoin de jouer des sales tours.
Puis j’ai appris, par hasard, qu’il avait été adopté par les Payet. Il se met souvent à l’écart des autres. J’ai l’impression qu’il n’arrive pas à trouver sa place au sein de la famille ou dans un groupe. Je me demande si, sous ses airs de petit garçon, ne se cache pas un cœur en or. Et puis, on ne peut pas le juger. Si un jour j’apprenais que mes parents ne sont pas mes parents, je ne sais pas à quel point cela m’aurait chamboulée. Mickaël l’a appris, il y a trois ans, juste après que… Enfin, tu vois.
Bref, je reprends mon matage minutieux. Il est pas mal, avec tous ses muscles, ses cheveux bruns ébouriffés, ses yeux bleu marine qui s’éclaircissent face au soleil et… Oh ! Un nouveau tatouage au poignet ? Je crois apercevoir un drôle de symbole, comme un œil.
— Nouveau tatouage ? questionné-je. Mickaël croise les bras pour le dissimuler.
— Alia ! nous interrompt Iris en me prenant dans ses bras. Un câlin, c’est toujours agréable.
— Joyeux anniversaire, princesse !
— Merci, ma Chakravesti !
On se donne des petits noms bizarres, parfois.
***
Petit récapitulatif de ces surnoms bizarres :
« princesse » : depuis le jour où je suis tombée sur le pseudo que Matt (l’ex d’Iris) lui avait mis sur Messenger. Je me suis moquée de lui en remarquant qu’il aurait pu mettre une majuscule à « Princesse » ou encore ajouter « Ma » princesse avec une émoticône à la fin. Mais non, juste « princesse ».
« Chakravesti » : un mélange de chakra et de travesti. « Chakra », c’est depuis un week-end camping où l’on s’est allongées sous un palmier pour méditer sur la vie et les énergies qui nous entourent. « Travesti », car, à chacun de nos selfies ensemble, on filtre la réalité.
*** Revenons à l’instant présent.
— T’as mis ton maillot de bain, j’espère ?
J’essaie de faire la moue, impossible. Elle se moque de moi, mais je suis tellement nerveuse que je rigole à mon tour. Iris et moi n’avons pas besoin de se parler pour se comprendre, un regard suffit. Elle sait ce que je ressens, à quoi je pense et inversement.
Qu’est-ce que je ferais pas pour toi, Iris. Mais n’abuse pas trop quand même, ou je te jette à l’eau !
Son regard est plein de malice, je sais qu’elle me répond :
Vas-y essaie un peu pour voir. Si je plonge, tu plonges. »
Nous nous élançons dans un fou rire. Mickaël et ses parents n’y font plus attention depuis des lustres.
(8) Lya, chanteuse-compositrice de All A Dreams Production.
- Fin du chapitre -
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À la fin des cours, j’ouvre mon casier et retrouve le coquillage que j’ai laissé tomber sur la petite plage, ce matin même, avec un petit mot collé dessus.
« Tu as oublié ce magnifique souvenir sur le sable. Ne t’inquiète pas, je ne dirai rien, ce sera l’un de nos petits secrets. M. »
— Prête pour demain ? demande Iris qui surgit de nulle part.
— Euh… Oui, demain…, bafouillé-je en claquant mon casier pour tenter de dissimuler notre nouveau « petit secret ».
Car, tu t’en doutes, il y en a eu d’autres.
— Rendez-vous à 14 heures au port de Saint-Gilles sur le quai n° 7 ! Il faut que je file, je dois aller réviser pour mon interro de physique.
Je la laisse partir, la boule au ventre, encore plus terrifiée à l’idée de me retrouver sur l’eau confrontée à MICKAËL !
Mickaël… Je lui dois des explications, mais je reste moi- même dans l’incompréhension. Comment me suis-je retrouvée inconsciente sur le sable ? Quelle était cette voix ?
- Fin du chapitre -
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Tout au long de la journée, j’ai l’impression de jouer un rôle, de mentir à tout le monde, mais aussi à moi-même. Ici, je peux enfin tout lâcher. Les yeux fermés, je me laisse envahir par cette plénitude provoquée par l’eau. Celle-ci imbibe mes cheveux fins et ondulés et délivre même mon élastique. Une fois que je suis libérée de toutes chaînes, mon cœur retrouve son rythme régulier. Je me sens entière et légère. Se retrouver enfin seule, loin de toute cette pression quotidienne, des parents, du lycée, des méchantes vipères, des amis, des profs, des klaxons de bus. Loin de tout. Seule pour ne faire plus qu’un avec la nature. Entrer en communion avec le monde. Venir le soir pour nager quelques longueurs, faire la planche pendant un instant et regarder les étoiles sont essentiels pour moi. Je plonge à nouveau sous l’eau et, pendant ce court moment d’extase, je crois entendre des voix !
Des voix ou du bruit ? Je cherche autour de moi, il n’y a rien. Je ne suis pas en train d’halluciner, c’est bien une voix, celle d’une femme peut-être. On dirait un chant ou un murmure. Je ne suis pas sûre de comprendre ce qu’elle dit. Mais où est-elle ? Je commence à avoir peur. Soudain, une sensation de brûlure surgit dans ma poitrine, j’ai l’impression qu’elle s’enflamme. J’ouvre les yeux et m’apprête à remonter à la surface. Je veux m’enfuir tant la peur envahit tout mon être. Je scrute les environs, constate que c’est le noir complet. Je suis là, dans l’incompréhension, immobile, les yeux dans le vague, comme hypnotisée par ce chant mélodieux. Incapable de remonter ni de lutter. Je sens ma gorge se serrer, mon cœur se crisper et, à cet instant-ci, je ne ressens absolument plus rien, ni peur, ni joie, ni tristesse, ni colère. Je me sens vide et en paix en même temps. Ce chant me rappelle les berceuses qu’on fredonne aux bébés. Je me laisse partir.
***
— Alia ! Alia, réveille-toi ! Alia ! Qu’est-ce que tu fais allongée ici toute seule ? Tu vas bien ?
Je me réveille en sursaut, complètement désorientée, paniquée. J’ai le souffle court. Mes yeux se remplissent de larmes. Crise d’angoisse.
— Alia, respire ! Tout va bien ! Je suis là. Regarde-moi.
Je reconnais cette voix, Mickaël, le grand frère d’Iris. Je sens un tissu doux se poser sur moi. Frigorifiée et perdue, je me demande où je suis, l’heure qu’il est. Tout à coup, des flashs me reviennent : mon escapade nocturne, la voix hypnotique. Je me relève brusquement avec l’impression de recevoir un uppercut. Je sens quelque chose dans ma main fermée. Depuis combien de temps je tiens ce coquillage ? Je ne me souviens pas de l’avoir ramassé.
Encore un peu dans les vapes, je croise le regard de Mickaël. Je tremble tellement que le coquillage finit par me glisser des mains. Je me réfugie quelques secondes dans le pull qu’il a posé sur mes épaules. L’odeur qui se dégage de son sweat est agréable, douce et réconfortante.
— Quelle heure est-il ? demandais-je.
— Il est 6 h 30, mais…
— Je suis restée là toute la nuit ?! Je dois y aller !
— J’ai presque fini mes travaux d’intérêt général, je peux te raccompagner si tu veux ? me propose Mickaël, le dos tourné, tandis que je me rhabille à toute vitesse.
— Non merci ! Et tu ne m’as jamais vue ici ! À plus ! Je ne l’écoute pas et prends mes jambes à mon cou.
Je rentre sans un bruit, sans éveiller le moindre soupçon. Je file sous la douche chaude. Lorsque je finis de me préparer, mon réveil se met à brailler, mais cette fois je n’ai pas eu besoin de lui pour me réduire le cerveau en compote. Je rassemble mes dernières forces pour tenter d’oublier ce qui s’est passé et faire en sorte que cette journée soit aussi normale et futile qu’elle devrait l’être.
- Fin du chapitre -
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Je te raconte la suite de ma matinée ? Il n’y a rien de très passionnant. Iris a eu la meilleure note en chimie. M. Robert se plaint de son ex-femme. Il s’épuise à s’époumoner sur sa vie privée. Mme Lise, la femme de ménage, passe comme à son habitude pour x raisons. Cette fois, elle dépose une corbeille à papiers dans la classe. Tout le monde a compris son manège. Elle adore faire des yeux doux à M. Robert. Quoique je me demande ce qu’elle lui trouve de sensass. Chacun ses goûts. Bref, ma routine.
Nous arrivons enfin à l’heure du déjeuner, semblable à la Rencontre du troisième type, où l’on doit côtoyer toutes sortes de gens hétéroclites. Que dire de la « Reine Jessica » et ses fidèles sujets, Émilie, Annabelle et Lisa ? Elles se croient au-dessus des lois. Elles s’imaginent être des femmes exceptionnelles ou de futures stars. Elles n’ont peur de rien.
Iris et moi, nous nous asseyons à la pire table de la cafétéria, désignée ainsi par l’affreuse « Reine mutante ». Mais oui, tu sais, Reine Jessica ! Je ne vais pas te le répéter. Donc nous voilà installées entre les poubelles et le dépose-plateaux, notre siège
assigné. Eh oui, l’époque où Iris et moi faisions croire à toute l’école que la petite Jessica à la tignasse frisée avait des poux est révolue ! Au lycée, les cartes sont redistribuées. Désormais, nous sommes devenues les parias. On nous fuit comme la peste. Le karma ? Sans doute.
— Salut, Alia, m’interpelle une voix inconnue au-dessus de mon épaule.
— Oui ? réponds-je en me retournant.
Oh non, je rêve ! Josh Techer ! Le mec le plus canon du lycée et capitaine de l’équipe de basket. Et il m’adresse la parole ? Elle est où la caméra cachée ? Non, non, reprends-toi. Sois naturelle. Je peux assurer et parler à Josh Techer.
— J’ai entendu dire que tu te débrouillais pas mal en histoire, continue Josh. Du coup, je me demandais si tu pouvais me donner un coup de main ?
PAUSE.
Sache que ce genre d’événement ne se produit jamais dans une journée type d’Alia Grondin. JAMAIS.
Voilà ce qui aurait dû se passer :
Scénario numéro 1 :
— Hey, Alia ! Excuse-moi, tu pourrais te pousser un peu, j’ai besoin de jeter un truc à la poubelle.
Scénario numéro 2 :
— Hey, Alia ! J’ai fait tomber ma fourchette sous le dépose-plateaux, tu peux la ramasser, s’il te plaît ?
Quoique… la formule de politesse serait de trop.
Je m’étouffe presque avec mon jus d’orange. Bon, mon naturel est revenu au galop. Mais je peux le faire. Je suis forte.
— Hey, Josh ! Des cours particuliers ? Si tu veux, avec plaisir.
Mais parfois, le naturel est vraiment pénible. Et voici ce qui sort réellement de ma bouche :
— Hey… Josh ! Hum… Euh…
Je bafouille lamentablement, avant de sentir une substance visqueuse à l’odeur d’abricot dégouliner subitement sur ma tête.
— Hum… On se verra plus tard, Alia, j’dois y aller, dit-il, mal à l’aise, avant de s’enfuir.
À croire que, lorsque qu’un coulis d’abricot vous tombe sur la tête, plus personne n’a besoin de vous. Je découvre que la « Reine mutante » a, par « accident », renversé son dessert sur moi en déposant son plateau. Au moins, cela correspond déjà plus à un événement à classer comme « normal ». Toute l’assemblée me regarde comme une bête de foire. Après tout, nous sommes des proies, n’ayant pour seule utilité, jusqu’à ce jour, que de distraire le petit monde de la mutante. Après ce malencontreux incident, Iris m’accompagne aux toilettes pour me rincer les cheveux. Une meilleure amie est là en toutes circonstances…
14 h. Cours de français.
— Je n’arrive pas à croire qu’elle ait osé. Elle était forcément furieuse que Josh vienne t’adresser la parole, chuchote Iris pendant l’interminable monologue de Mme Dalleau.
— Silence, s’il vous plaît ! J’espère que votre dissertation sur votre journée type sera prête pour lundi matin. Elle doit être claire, lisible et personnelle, nous interrompt Mme Dalleau, face à moi, en mastiquant bruyamment son chewing-gum qui n’a sans doute plus aucune saveur.
Ses postillons atterrissent sur mon visage. Beurk ! Et voilà un traumatisme à vie. Mon père me parle encore de son professeur d’anglais, de l’époque, qui transpirait énormément, au point d’éclabousser le sol. Ce genre de profs ne s’oublie jamais, malheureusement.
16 h
À la fin du cours, je dis au revoir à Iris et croise Josh qui fait semblant de ne pas me voir. Je décide de rentrer à la maison à pied pour éviter les regards et ricanements des élèves dans le bus. Porter mon maillot de bain fétiche fait du bien au moral, mais ne me donne pas assez de courage pour affronter ces langues de vipères. Un jour, peut-être…
Pendant mon trajet, je pense à ma dissertation sur ma journée type que je rendrai lundi. Je ne l’ai pas commencée. Je vais devoir mentir. Mon récit sera différent de ma vraie routine.
16 h 30
Enfin de retour au bercail. Je monte dans ma chambre faire mes devoirs, ou regarder une série Netflix (5), tout dépendra de mon humeur. Tu connais Netflix ? On y trouve des séries et des films pour tous les goûts. L’histoire que je te raconte pourrait devenir un parfait scénario et faire fureur.
(4) Plateforme de streaming
- Fin du chapitre -
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19 h 30
On passe à table. Papa a préparé mon plat préféré, une pizza jambon mozzarella olives. Ils poursuivent mon interrogatoire. Pff, je pensais vraiment y échapper.
— Comment s’est passée ta journée, poussin ? demande « inspectrice » maman.
— Tu as un devoir en retard en sciences ! déclare d’un ton sec « sergent » papa.
Comment il sait ? Ah oui, Pronote ! Saleté de mouchard. Je décide de faire l’anguille et demande innocemment :
— Iris m’a invitée pour une ballade en catamaran samedi pour son anniversaire. Dix-sept ans, ça se fête ! J’ai déposé mon devoir sur le bureau de M. Robert. Il a dû l’égarer.
Quatrième mensonge de la journée.
— Il y aura qui d’autre, samedi ? réplique mon père, qui ne semble pas convaincu.
— Oh… Juste M. et Mme Payet et Mickaël. La famille proche. Maman me regarde avec un petit sourire en coin. Je sais à quoi elle pense, la « scène du premier baiser ». Séquence et guimauve pour le treizième anniversaire d’Iris. Elle nous avait surpris, Mickaël et moi, en train de nous bécoter. Je te passe les détails, c’était loin d’être un moment très romantique. Nous étions accroupis sous une table, en pleine partie de cache- cache, et testions pour la première fois notre petit jeu.
Maman me sort de ma rêverie et reprend notre conversation :
— Tu vas bien t’amuser !
Je me force à sourire.
— Oui.
— Tu n’as pas faim, chérie ?
— J’ai un peu abusé du dessert, ce midi à la cantine…
Ça ne compte pas comme un mensonge, ça ? Si ?
Je fixe la grande horloge de la cuisine, attends que la grande aiguille bascule encore d’un cran. Juste le temps de faire comprendre à maman et papa qu’il est temps pour moi de sortir de table.
20 h 30
J’ai besoin de me ressourcer dans ma chambre. Je mets un terme à l’interrogatoire et souhaite une bonne nuit à mes merveilleux parents. Et je monte sagement me coucher. Non, je rigole. Je le mettrai sûrement dans ma dissertation de « la journée type d’Alia Grondin » pour lundi.
TAP TAP TAP TAP TAP
Ce que tu entends, c’est moi et ma délicatesse pour retrouver mon antre précieux. Maman adore me comparer à un éléphant qui boude. Apparemment, je suis loin d’être discrète quand je monte les escaliers. Chacun son truc, je ne suis pas danseuse étoile.
Mon moment parfait de la journée : enfin seule dans ma chambre. L’heure est venue pour la grande évasion. J’orchestre cette opération toujours avec minutie. Je mets les coussins sous ma couverture, dans le but de former ma silhouette à peu près crédible. Je vérifie discrètement que mes merveilleux parents sont posés devant leur série préférée : The Walking dead (6) . J’entends la musique du générique, le signal pour dire que la voie est libre. OK, on y est, le moment tant attendu : la montée d’adrénaline. L’instant où l’enfant tient ses fameux bonbons gluants dans sa poche et s’apprête à les dévorer ! J’ouvre délicatement ma fenêtre, grimpe avec précaution sur le bureau et m’extrais, telle une spy girl (7) . Ne fais rien tomber, reste silencieuse. Je m’en sors avec succès. Une fois le nez dehors, il n’y a qu’une seule règle : courir sans jamais m’arrêter.
Je sprinte sur environ cinq cents mètres, prenant la ruelle à gauche de mon allée. Je sens comme un contraste entre le courant d’air frais sur mon visage et la brûlure dans ma poitrine, une agréable douleur en soi. J’aime m’élancer à toute vitesse loin devant moi sans me retourner. J’ai l’impression de fuir quelque chose, sans trop savoir quoi, mais je n’ai pas peur. Quelle sensation agréable ! Je me sens libre.
J’emprunte toujours la même allée, celle qui passe devant la grande maison blanche de Mme Bijoux. Elle possède un immense pied de litchi, garde toujours ses lumières éteintes en soirée. Je la vois tous les soirs rester dehors sur sa chaise à bascule, face à son arbre fruitier qui s’illumine. Le seul moment où je ralentis ma course, je trottine et observe un instant ces feuilles éclairées grâce aux guirlandes lumineuses qui recouvrent les branches. Je suis encore aujourd’hui intriguée par ce mystérieux spectacle. Je prends le temps de saluer Mme Bijoux avec un grand sourire, mais, au fond, je ne sais pas trop pourquoi, elle me rend un peu triste.
Je vois l’horizon, ce contraste au loin entre les montagnes et la mer. Incroyable ! J’aime suivre du regard le mouvement des vagues qui viennent s’éclater contre le vieux phare. L’explosion de l’eau contre la roche est impressionnante, violente, terrifiante. Parfois, j’ai la sensation qu’elle vit en moi. Elle me retourne l’estomac. Un effet bouleversant.
J’arrive enfin à la petite plage isolée de Terre-Sainte. J’enlève d’un trait ma chemise de nuit — oui, bon, j’avais la flemme de m’habiller — en faisant le décompte dans ma tête avant le contact avec l’eau.
« Huit, sept, six. »
J’ai l’impression que le monde m’appartient.
« Cinq, quatre. »
Je laisse tomber mes sandales.
« Trois. »
Mes pieds s’enfoncent dans le sable froid.
« Deux. »
Je retiens mon souffle.
« Un. »
Je plonge sans réfléchir. Qu’importe si l’eau est de température ambiante, froide ou gelée ! L’adrénaline est déjà une saveur bien trop exquise.
Au cas où tu te poserais encore la question de ce que je pouvais bien faire, cette nuit-là, avant que tu ne me tombes dessus. Je m’étais enfuie pour la première fois pour aller nager.
J’ai été conne, je sais. À croire que je n’ai toujours pas compris la leçon aujourd’hui.
(6) Série télévisée dramatique d’horreur américaine, inspirée de la bande dessinée du même nom.
(7) espionne
- Fin du chapitre -
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7 h 40
Je descends à la cuisine et prends mon petit déjeuner express, soit un cappuccino au chocolat et une pomme.
— Bonjour, chérie, tu as bien dormi ?
— Oui, m’man…, réponds-je d’un sourire forcé.
Premier mensonge de la journée.
— Tu as révisé pour ton exam d’anglais ? enchaîne papa, me scrutant d’un air méfiant.
Je déteste ce regard dès le matin.
— Oui oui…, acquiescé-je.
Deuxième mensonge de la journée.
Papa m’examine scrupuleusement. Apparemment, je ne l’ai pas convaincu. Il reprend son investigation intempestive.
— Tu m’as l’air un peu fatiguée, ces derniers temps. Tu es sûre que tout va bien ?
— Tu as pris tes vitamines ? rajoute maman, l’air inquiet. Elle soutient toujours papa.
— Je file. J’ai un bus à prendre. Ne vous en faites pas pour moi. À ce soir ! répliqué-je en engloutissant mon cappuccino à toute vitesse.
M’évitant ainsi deux mensonges de plus, je les embrasse chacun d’un vif bisou et cours jusqu’à l’arrêt de bus en bas de mon allée, en priant qu’il ne soit pas en avance.
7 h 52
Mon bus pile à l’heure. Direction : le lycée Mercure. Un signe au chauffeur et j’ai le sentiment que c’est une longue journée qui commence.
— Alia ! crie Iris en me faisant signe de la rejoindre au fond du bus.
Je m’approche et remarque qu’elle a une nouvelle tenue. Iris est le style de fille qui pourrait tout porter. Petit chemisier blanc décolleté, un jean taille haute, des baskets rouges criardes. Le genre de look que je rêve de copier, mais que je ne n’achète jamais. Me voilà assise à côté de ma meilleure amie, la splendide Iris Payet. Elle m’embrasse et sourit, je devine qu’elle m’a encore laissé une trace de rouge à lèvres sur la joue.
— Salut ! se moque-t-elle.
— C’est quoi cette mine radieuse ? T’as encore eu un vingt en maths ? demandé-je.
Je joue encore la surprise même si, au fond, plus rien ne m’étonne venant d’elle.
— Samedi : ballade sur un catamaran avec moi !
Stupeur ! Je ne l’ai pas vu venir.
— Quoi ? Comment ça ? Mais…, bafouillé-je en tentant tant bien que mal de cacher mon embarras.
— C’est mon anniversaire ! Oh non ! Tu n’as pas oublié, j’espère.
TUUUUUT TUUT
Ouf ! Le bruit du klaxon me sort in extremis de ma confusion. La manie du chauffeur de bus m’arrange pour une fois. Il adore klaxonner quand il croise ses homologues. Un véritable mystère, pour moi, ce rituel de communication non verbale et bruyante.
— Bien sûr que non.
Troisième mensonge de la journée.
— Ne t’inquiète pas, me rassure-t-elle.
Iris me connaît et sait que je n’aime pas la foule.
— Il y aura mes parents et mon frère. Je ne te forcerai même pas à nous faire un défilé en maillot de bain. Mais bon, tu rates l’occasion d’être sexy. Pff, je me damnerais pour avoir ta classe en bikini.
Résignée, je finis par donner mon accord. Comment aurais-je pu lui dire non ? Si tu la voyais, cette blonde aux yeux bleus, irrésistible avec ses lunettes oversize et design qui lui vont comme un gant.
Iris et moi, nous nous sommes rencontrées en colonie de vacances l’année de nos douze ans. L’infâme Jessica Huet m’avait interdit l’accès à sa tente, souffrant apparemment de
« la phobie des rousses ». Afin que règne la paix au sein du camp, notre animateur, M. Maillot, m’avait fortement conseillé de changer de couchage. Je vivais une terrible discrimination, mais aussi ma plus belle rencontre : celle avec Iris. Ce soir-là, Iris et moi, nous glissâmes des orties dans le sac de couchage de « Jessica la mutante » en guise de vengeance. J’ai su, à ce moment-là, qu’on resterait amies pour la vie.
- Fin du chapitre -
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« Lorsque les adultes disent avec un sourire imbécile et sournois : “Les adolescents se croient invincibles”, ils ne se doutent pas à quel point ils ont raison. Inutile de perdre espoir, car nous ne pouvons être brisés irrémédiablement. Nous pensons être invincibles parce que nous le sommes. »
John Green — Extrait de Qui es-tu, Alaska ?
Hey !
Tu ne t’attendais pas à me voir ici, n’est-ce pas ? Mieux vaut tard que jamais. OK. Laisse-moi m’installer.
L’endroit n’est pas si glauque, finalement, il paraît si calme. À ton avis, qu’ai-je dans mon sac ? Une serviette pour m’asseoir, des friandises pour les petits creux et aussi un book que je te montrerai plus tard. Tu t’en fiches, pas vrai ? Si tu es d’accord, je m’appuie là-dessus. Ce n’est pas très confortable, mais je ferai avec.
Je présume que tu n’as rien de prévu pour les prochaines heures, j’en ai pour un long moment. Bizarre… Je sais. Écoute ! J’aimerais te raconter une histoire et, quand elle sera terminée, je souhaite sincèrement que tu me pardonnes. Je ferme les yeux, OK ? Plus facile pour moi. Les images me reviennent mieux. Je revivrai certains moments, me souviendrai de certaines voix, de leurs paroles… Cela reste récent dans mon esprit, alors je risque d’avoir quelques montées d’émotions. Ne m’en veux pas si je m’égare, si je m’interromps pour éclater de rire ou fondre en larmes. Mais tu dois l’entendre… Je sais. Tu te dis « Encore un conte pour enfants ! » Détrompe-toi. Juste la vérité, pour une fois, toute la vérité.
Tu n’as pas forcément envie de m’écouter ? Je peux l’admettre. Mais je m’apprête à te dévoiler comment ma vie est devenue un véritable cauchemar ! Si ça peut te consoler, laisse-moi te raconter ma dernière journée à peu près normale. Il faut commencer par là pour que tu puisses réellement comprendre à quel point les choses ont changé, à quel point tout est parti en vrille depuis ce fameux jour…
« Dix, neuf, huit, sept, six, cinq, quatre, trois, deux, un. »
Deux mois plus tôt…
Encore une interminable journée en perspective à la Réunion… Il est sept heures et cette affreuse sonnerie par défaut — « Morning Flower » — qui me sert d’alarme matinale, résonne péniblement dans ma tête. Ce bruit m’assomme complètement. J’essaie désespérément d’éteindre cette mélodie sadique. À peine le réveil désactivé, je regarde, satisfaite, mes notes et appréciations aux derniers examens en ligne sur Pronote (1). Je check (2) mes notifications sur les réseaux sociaux, les stories (3), les spams. En général, il n’y a pas grand-chose d’intéressant à consulter, pour ne pas dire RIEN.
7 h 10
Je suis debout dans ma chambre, j’ouvre les rideaux bleus qui me rappellent la mer et je vérifie si je n’ai pas laissé la fenêtre ouverte. Je dresse mon lit, semblable à un lit d’hôpital, entièrement blanc — sommier, draps, couette, oreiller… Tout est clean. Je passe un coup de chiffon sur mon bureau. Je balaye bien partout pour ne pas y laisser un seul grain de sable. J’inspecte le lieu, tel un détective. Je passe l’aspirateur dans les moindres recoins ; heureusement, la pièce est petite. J’insiste sur mon tapis en fourrure rose. J’élimine toutes les traces qui pourraient laisser un indice à mes parents sur ma petite vie nocturne. Je ne suis pas maniaque, contrairement à ce que ma mère peut croire. Je fais un tel vacarme, tous les matins, avec mon aspirateur. Enfin, opération purification validée. Je vais me préparer pour le lycée.
7 h 25
Comme tu le sais, j’adore nager, mais, depuis, j’évite toutes les piscines, les grandes plages noires de monde, les rivières ou tout autre point d’eau. Je ne supporte plus les foules et leurs jugements silencieux, ni d’exhiber mon corps. Surtout lorsqu’ils découvrent ce qui se cache sous mon sweat à capuche et mon jean trop large.
J’enfile un maillot de bain en guise de sous-vêtements, bien qu’il soit peu confortable. Mais je n’y prête pas attention. Il me rappelle que, ce soir, je me sentirai enfin libre. Souvent sans m’en rendre compte, je redresse ma bretelle de maillot. Ça me calme. L’océan n’attend que moi. Je sais que, le moment venu, j’y retournerai.
Ne me juge pas. Regarde les bébés, par exemple, ils ont des doudous. On a tous besoin de s’accrocher à quelque chose, un objet, un rituel, un événement. Aussi étrange soit-il, il devient important pour nous. Toi, ton truc c’était bien le whisky dès le petit déjeuner. Et je ne te condamne pas.
Quel bel ensemble ! Dire que personne ne peut le contempler. Le tissu du maillot restera sec sur ma peau, il ne humera même pas l’odeur de l’eau. Est-ce que je ne me punirais pas un peu moi- même ? Comme quand j’étais enfant, avec mes pauvres carries, et que le dentiste me déconseillait de manger des friandises. Et tu sais à quel point je suis addict au sucre ! Je gardais toujours une poignée de petits crocodiles dans ma poche. Lors d’une mauvaise journée, je glissais discrètement ma main dans mon réservoir secret pour atteindre la texture collante et gluante. Juste les toucher me consolait. Je me sens dans cet état, aujourd’hui. Je me fixe quelques secondes devant le miroir. Que vois-je ?
Je scrute mes cheveux roux, plats et fades ainsi que mon corps fragile et cette horrible cicatrice. La marque est imposante. Elle part de mon nombril jusqu’à ma poitrine. Elle me donne l’impression d’être vide, littéralement. Je la trouve monstrueuse. Je n’arrive pas à maintenir le regard dessus. J’effleure mon abdomen du bout des doigts, juste pour voir si cette affreuse marque est toujours sensible. Je m’approche timidement de mon reflet. J’observe aussi mes taches de rousseur qui parsèment mon visage. Elles s’étendent sur mes épaules plutôt larges. J’aimerais qu’elles disparaissent. Je soulève les cheveux qui tombent sur mes joues. Le nez collé au miroir, je m’efforce encore de sourire. Je me regarde une dernière fois droit dans les yeux et me dis : « Au moins tu as ça, de beaux yeux verts ! » Après ce calvaire que je m’impose chaque jour, je finis de me préparer.
(1) Logiciel de gestion de vie scolaire en collèges et lycées
(2) Vérifie
(3) Collection de contenus de photos et de vidéos éphémères sur les réseaux sociaux.
- Fin du chapitre -
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