Plan A - Sauve-toi

Plan A - Sauve-toi

Editeur : Les Ailes de l'Océan Edition

Auteur : Mary Shaneh

Illustration : Maddie Nell

ISBN : 978-2-487542-07-5

Description : 

Pour Chacune d'entre Nous

Nina, une mère dévouée de quatre enfants, dévoile sans réserve les méandres de son existence, une lutte constante pour la liberté dans un quotidien monotone régi par les caprices d'un compagnon toxique.


Cependant, au cœur de cette obscurité, un éveil se produit. Nina réalise l'étendue de son malheur et décide de rompre les chaînes qui la retiennent prisonnière de sa propre existence. Mais son chemin vers la liberté sera semé d'embûches.


Y arrivera-t-elle, selon vous ?


Mis en ligne par Lectivia
Dernière mise à jour 05/04/2025
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Plan A - Sauve-toi
Il faut qu'on parle

« Il faut qu’on parle »


Ces mots résonnent encore dans ma tête et je ne parviens toujours pas à me défaire de leur son.


« Nina, je conçois que cela fait maintenant presque une année que nous sommes ensemble, mais vois-tu, ta déclaration de l’autre jour : ton je t’aime et je veux vieillir avec toi… Désolé, mais, “Moi”, je ne le veux pas et je ne le voudrais jamais. Bon sang, Nina ! Tu le sais pourtant ! Je n’ai ni le temps ni l’envie pour une relation de couple. Si je venais à te répondre que moi aussi, c’était là ce que je désire, cela voudrait dire que je suis prêt à te laisser une place dans ma vie. Chose que jusqu’alors, soyons clairs, je n’ai jamais voulu t’accorder. Sois réaliste, Nina ! Je ne peux ni ne veux tirer un trait sur tout ce que j’ai mis tant d’années à construire. Désolé, mais je n’abandonnerai pas mes rêves pour toi et il est préférable que l’on arrête tout ici avant qu’il ne soit trop tard. Tu l’as toujours su. Tu n’es pas mon plan A. »


Je suis restée muette pendant une éternité de quelques secondes et lui ai juste répondu : « Je comprends. » 

C’est par cette déclaration froide que ce jour-là il est sorti de ma vie. D’un simple claquement de porte, il a fermé le livre de notre histoire, alors que moi je restais là psychologiquement assommée.

Comment en étions-nous arrivés là ?



- Fin du chapitre - 


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Partie 1 - J'étais Nina
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Plan A - Sauve-toi
3. EN ATTENDANT

« Dieu soit loué ! J’avais toujours pensé à consigner les aventures du petit Tanguy sur papier. » Avec l’espoir qu’un jour mes enfants les conteraient à leur tour à leurs propres enfants.

Me voilà donc posée à mon bureau, les douze carnets des périples du petit pachyderme illustrés maladroitement entre les mains. Il ne me restait plus à présent qu’à m’atteler à la tâche et créer le manuscrit pour un éditeur.

Je m’appliquais pendant des semaines à mettre tout en œuvre pour rendre mon ouvrage le plus présentable possible, essuyant au passage des remarques désobligeantes de mon compagnon comparant ma nouvelle « lubie » à une activité manuelle d’école maternelle. Assaillie quotidiennement par ses brimades, déconsidérée, méprisée, je ne flanchais pourtant pas, car jamais encore je n’avais été aussi déterminée. Aussitôt l’ouvrage terminé, je l’expédiais sous enveloppes cachetées à plusieurs maisons d’édition.

Macha fut très fière de moi, car j’avais enfin fait un pas vers ma liberté. « Ne sois pas déçue si cela ne fonctionne pas comme tu l’imagines, car tu auras au moins tout tenté. Réalise que tu ne pourras jamais regretter de ne pas être allée au bout de ton projet. Maintenant, en attendant de voir comment cela va prendre, trouvons-toi un emploi. Peu importe, pour le moment, si ce n’est pas le métier de tes rêves, il te donnera tout de même cette motivation nécessaire pour te lever jour après jour ! »


Elle avait bien raison. Je n’allais pas m’arrêter de vivre. Je ne devais pas oublier que mon objectif premier était de transformer ma vie et fuir mon couple. Alors, pas le choix. Je devais maintenant réagir. Travailler pour partir, puis travailler pour vivre et enfin peut-être travailler pour m’épanouir. Et je serais alors accomplie.


Encore un jour de plus dans mon enfer…


Comme chaque matin, je me levais, la tête dans un étau avec deux envies : mon café et le silence. J’avais élevé mes enfants au respect de ce moment pour moi et ils avaient appris à le faire. Je le savourais paisiblement, pendant qu’ils se préparaient pour l’école, quand je fus sortie de ma quiétude.

« Mon bisou ! » me réclama mon compagnon de son haleine fétide du réveil, la bave blanchie de la nuit aux commissures des lèvres.

« Encore le Baveux ! » me lamentais-je intérieurement.


Comme je haïssais cette vie qui consistait constamment à faire semblant que tout allait bien dans le meilleur des mondes et m’obligeait à enfiler mon masque de sourire dès le réveil !


J’exécrais l’hypocrite que j’étais devenue.


Pour se sauver de sa propre existence, cette femme fausse avec les autres et surtout avec elle-même devait chaque jour faire comme-ci tout allait bien dans son monde cruel. Tout ce mécanisme de survie, je ne l’avais pas mis en place dans le but de garder mon confort et ma petite vie illusoire, mais tout simplement, par crainte des réactions impulsives que le « baveux » pouvaient avoir, me plongeant dans un profond état d’asthénie.

Comme un mantra, un des précieux conseils de Macha me talonna la tête à ce moment-là :

« Une fuite ne se déclare pas. Sinon, ce que l’on fuit risque vite de nous rattraper et de nous ramener à son point de confort. » 

Je devais donc devenir forte et actrice, car il me fallait encore jouer mon rôle de femme docile alors que mon cerveau, lui, s’évadait déjà dans l’échafaudage de ma fuite.

Il était impératif que je m’inscrive au plus vite à l’agence pour l’emploi et que j’épluche toutes les annonces du net ! 

« Il nous faut du pain. Tu iras nous en acheter pour ce soir. Bonne journée ! » claquement de porte, départ de Monsieur, l’ordre était lancé, je m’exécutais.


Je n’étais définitivement pas libre.


J’arrivais à la boulangerie lorsque je vis sur la vitrine une parfaite petite annonce. Ils semblaient avoir besoin d’une vendeuse à temps partiel. Aucune qualification n’était requise et cela tombait bien, je n’en avais pas. Je m’y présentais avec mon maigre Curriculum Vitae, c’est-à-dire ma tête et mon culot et par chance, je tombais au bon moment. La demande était urgente et ma recherche était pressante. La providence me souriait et c’est ainsi que je décrochais mon premier emploi, par simple fortuité.

Je courus l’annoncer aussitôt à ma nouvelle amie, Macha.

— C’est mieux que rien et au moins ça te sortira ! Me dit-elle.

Macha ne voyait jamais le verre à moitié vide, mais restait toujours terre à terre. C’était rassurant pour moi.

Le soir venu, je manifestais à mon compagnon mon intention de travailler.

— Pourquoi donc ? On va payer plus d’impôts alors que tu vas gagner des clopinettes ! En plus, il faudra faire garder le petit et ça va nous coûter plus cher de le faire garder que ce que tu vas gagner ! C’est vraiment n’importe quoi ! Tu aurais dû m’en parler avant ! Voilà, toujours à faire des manigances dans mon dos ! Tu nous fous dans la merde encore une fois à ne penser qu’à toi ! Hurla-t-il le visage érubescent.

Je me sentis alors affreusement coupable de mettre ma famille dans un tel embarras. Avait-il raison ? Étais-je devenue égoïste ? Je ne puis lui répondre tant j’étais confuse.


Ce soir-là, le « Baveux » mit son masque de colère, celui des moments où sa rage dépassait tout contrôle. Cet homme, dont le corps se crispait d’agressivité sous la moindre contrariété, nous étions les seuls privilégiés à le connaître. Cette nouvelle lui déplaisait au point de le faire sortir de son être. À présent, je n’avais plus le Baveux face à moi, mais son alter ego : l’Ogre. Il claquait chaque porte qu’il passait et agressait chaque enfant qu’il croisât. Il était incontestablement mécontent, car je venais de faire obstacle à sa petite vie bien organisée.

Effrayé par le climat de tension qui régnait alors dans la maison, comme à l’accoutumée, chacun s’enferma dans une pièce et le silence régna.

Pour tenter d’échapper à cette situation, je me dirigeai vers la salle d’eau pour me couler un bain, la Mazurka en ut dièse mineur op 63 de Chopin sur mon téléphone, des bougies à la lavande tout autour de la baignoire, je m’enfonçais au fond de l’eau pour noyer ma peine.

Je pris une grande bouffée d’oxygène lorsque je perçus des vibrations de pas lourd provenant du couloir et se dirigeant vers moi.

— Ça commence quand ta connerie ! me lança l’Ogre en ouvrant brusquement la porte.

— Ça commence la semaine prochaine, mais à bien y réfléchir, tu as raison, je n’irais pas. Nous allons payer plus d’impôts, il faudra s’organiser pour Maxime et il y a la maison à gérer aussi. C’était une idée absurde que de vouloir travailler. Je m’en excuse, lui répondis-je à mi-voix.

Un sourire de satisfaction se fit aussitôt voir sur son visage. Ses épaules se relâchèrent, sa voix se fit plus douce.

— Prends ton temps dans ton bain. Profites-en. Tu m’as l’air fatiguée, me baratina-t-il.

Miraculeusement, les portes ne claquèrent plus, ses pas se firent légers, presque inaudibles. Il était serein, satisfait, car il avait encore une fois réussi à m’intimider, tout m’accablant.

— Tu nous fous dans la merde, encore une fois… 


Ces simples mots qui n’avaient en réalité aucun sens, puisqu’aucun fondement ne m’avait culpabilisé et j’en étais arrivé à approuver le cheminement de ses arguments. Pourtant, la situation était des plus basique. J’avais trouvé un emploi et nous devions simplement nous organiser pour concilier notre vie de famille et ma vie professionnelle. Il n’y avait en réalité rien d’impossible là-dedans ni d’incompatible. Ce n’était qu’une histoire banale d’organisation que toutes les familles rencontrent. Mais ce soir-là, cette situation si ordinaire était devenue inacceptable. Mon compagnon dans une énième tentative de culpabilisation avait réussi un instant à m’en convaincre.

Il avait si vite changé de visage ! Baveux-Ogre, Ogre-Baveux.

Je n’en revenais pas, il m’avait encore eu. Je m’étais encore remise en question et l’avais laissé encore une fois m’atteindre en m’écrasant. 

Je vociférais intérieurement contre moi-même et me brossait le corps avec une telle énergie que je sortis écarlate de l’eau.

— Tu ne m’auras plus jamais ! lançai-je contre mon reflet embué. 


Jamais !


« Une fuite ne se déclare pas… »


Je pris toute la semaine à m’organiser. Par chance, la garderie avait encore une place pour Max et j’en remerciais l’Univers. Moi qui pensais que cela allait être le bout du monde, la mission fus bien plus accessible que prévu. Je mis également à contribution mes enfants et ma seule amie.

Mes trois aînés acceptèrent sans plainte de prendre en charge leur petit frère en cas de contretemps. Même Macha qui n’était pourtant pas une adepte des « petites bêtes » comme elle l’aimait à le dire consentit toutefois à bien vouloir chaperonner le tout en cas de problème. J’étais soutenue.

Par respect pour mes aînés que j’avais embarqués dans toute cette histoire et à qui j’avais imposé cette vie de mascarade, je m’étais confessée de mon projet de travailler et de quitter par la suite mon compagnon. Je leur devais cette vérité. Leur réaction me bouleversa. Ils en étaient ravis et m’apportèrent tout leur soutien.

— Il te détruit maman. On le voit et on ne peut rien faire. Nous ne sommes que des enfants ! Tu dois te libérer. On est tous prêts à posséder moins s’il le faut. On voit très bien que tu changes et on aime celle que tu deviens. Tu n’imagines pas à quel point cela nous rend heureux de te voir belle et différente. Cela fait tellement longtemps que tu ne souris plus.


Je réalisais alors que pendant tout ce temps il n’y avait eu qu’un obstacle à ma vie : moi. 

Sous couvert de protection de mes bébés, je ne me donnais pas la possibilité d’avancer. Tout ce qui comptait à mes yeux, c’était que matériellement ils ne manquent de rien dans ce semblant de foyer classique. À bien y réfléchir, je n’avais jamais cherché à savoir si la situation dans laquelle nous vivions leur convenait, car je pensais me sacrifier pour leur bonheur ne réalisant pas que leur bien-être dépendait aussi du mien.

Encore un jour de plus dans mon enfer. Mais ce jour-là pas le temps de s’attarder. J’allais travailler.



- Fin du chapitre - 


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2. LA DECOUVERTE

Ranger, nettoyer, cuisiner, voilà tout ce que je savais faire. Avais-je un talent exceptionnel dans ces pratiques ? Non, absolument pas. Accomplir ces tâches était un pur mécanisme de survie et aucune satisfaction ne pouvait s’en dégager. Pourtant, j’avais cruellement l’impression de savoir faire que ces tâches. Où allais-je donc pouvoir puiser l’inspiration et la force qui me permettraient de me libérer de mes chaînes ? Mystère.

De plus, à force de m’enfermer dans une vie de soumission, j’avais oublié tous mécanismes de sociabilité. Ma vie était une plaine de sable dans laquelle je n’avais en tout et pour tout qu’une seule connaissance. Pas une amie, pas une confidente, non juste une voisine peu appréciée (Était-ce d’ailleurs peut-être pour cela que je m’en étais rapprochée ?) du nom de Macha qu’il m’arrivait parfois de saluer.

Macha était une grande rousse aux formes généreuses, mariée à un trublion du nom d’Henry. Une espèce de Monsieur, je sais tout qui possédait une confiance en lui-même démesurée. À l’entendre, rien ne lui était impossible. (Peut-être était-ce dû à son statut d’ancien militaire ?) 


Ensemble, ces deux-là dégoulinaient d’assurance ce qui en effrayait plus d’un.

S’apercevant du changement que j’opérais, Macha prit davantage d’intérêt pour ma personne. Nous sommes passées des simples salutations usuelles à des conversations autour d’un café les après-midis. Je l’intriguais…


Pour cette nymphe des années cinquante, une femme devait assumer ses formes et les exposer au monde quitte à user de tous les artifices possibles pour le faire ; ce qui lui donnait d’ailleurs toujours une allure de pin-up. Il m’était impossible de lui donner un âge précis tant chez elle pas un pli ne s’était installé sur les profils de sa peau ou dans son allure toujours impeccable. La dame ne se cachait pas d’avoir eu recours aux « miracles de la science » et vantait même leurs mérites. « Être une femme demande plus d’un sacrifice et une infinie confiance en sa nature afin de devenir une meilleure version de soi-même ! » me répétait-elle sans cesse sans que j’en comprenne réellement le sens.

Mon renouveau fascinait Macha et autant vous dire qu’elle fit de mon cas son cheval de bataille lorsque je lui exposais mon envie naissante de féminité.

Se transformant en une missionnaire de la féminitude, Macha m’enseigna les rudiments de sa son élégance et me fit alors découvrir la gaine sous toutes ses formes ainsi que le soutien-gorge emboîtant. Jamais mon ventre détendu par mes grossesses ne fut si plat engoncé dans ces fourreaux. Je donnais l’illusion, le temps d’un instant, d’être encore plus affûtée tant l’espace laissé sous mes seins dressés comme deux obus était grand. « Le bistouri ?! On peut encore attendre pour cela… Mais pas trop non plus ! » me dit-elle, d’un ton peu rassurant, les doigts tapotant mes pattes-d’oie. 


Nous passâmes en revue toute ma garde-robe, car il était grand temps d’en faire un vrai tri. Il me fallut me séparer de mes ensembles en polaire, de ma collection de leggings psychédéliques, de mes pulls et de mes joggings usés. Mon cœur bien trop attaché à ces guenilles se déchirait à chaque vêtement mis en sac. « Tu ne vas pas me faire croire que tu as de bons souvenirs avec ces chiffons ?! Sérieusement ! Lesquels ? Hein ? Ceux de la lessive du lundi ou du repassage du jeudi ? Arrête ton cirque, Nina ! Tu dois laisser tout ceci derrière toi maintenant. Ce ne sont là que des choses qui ne te représentent pas. Il te faut avancer ma belle ! Tu verras que ça te fera plus de bien que de mal. » Je venais de me faire vertement réprimander par Macha et je ne mouftais pas. Elle avait sûrement raison.


Le grand tri fini, il fallut me racheter de nouveaux habits. Ma nouvelle amie s’improvisa alors en styliste personnelle et retravailla mon look de pied-en-tête. Après une après-midi entière de lèche-vitrine et d’innombrables essayages, mon relooking était terminé. Même ma chevelure eut droit à un petit rafraîchissement. Plus courts, mieux définis, mes cheveux revivaient et mon visage aussi.


« Alors que va-t-on faire de tout cela à présent ?! » me demanda-t-elle. « Nous avons fait de toi une femme présentable, il est temps à présent que tu te trouves une activité sinon tous ces artifices n’auront servi à rien ma belle. Tu n’es visiblement pas épanouie dans ta vie. Tu dois trouver cette destinée qui te grandira. N’y-a-t-il pas quelque chose pour laquelle tu aies eu un jour la moindre prédisposition ? »

— Quand j’y réfléchis bien, je ne vois pas. Je me suis toujours consacrée à ma famille et je ne sais rien faire d’autre à ma connaissance, lui répondis-je, accablée.

— Ne te sous-estime pas ! Je suis persuadée que quelque part, là-dessous se cache une aptitude insoupçonnée. Nous en avons tous une, chaque femme a un trésor caché en elle qu’il lui faut trouver pour s’accomplir enfin. Tu dois trouver le tien, dit-elle, tenait à me rassurer.

— Eh bien, je savais autrefois jouer de la flûte traversière. Mais cela fait tellement longtemps que je n’ai pas touché un instrument ! (Oui, je l’avoue, tentative désespérée de se raccrocher à quelque chose par manque de confiance en soi !)

— Tu devrais t’y remettre, mais je ne pense pas qu’il faille aller dans cette direction. À moins que tu sois douée à la Rampal… cela m’étonnerait fort ! Fais-en ton loisir du samedi si tu le souhaites, ça peut te détendre et te sortir de ta routine. Mais comme don utile à ta survie financière et mentale, j’ai de sérieux doutes. On va chercher ailleurs, suggéra-t-elle.

Dans ce genre de situation, la lucidité et la froideur sincère d’un ami sont parfois nécessaires.

— Franchement Macha… je ne vois pas…, regrettais-je désemparée.


En rentrant chez moi ce jour-là, le miroir ne me refléta plus qu’une belle coquille vide que j’ignorais totalement comment remplir.

La soirée se passa comme à son habituée de façon très mécanique. J’accomplissais mon rôle de mère et de femme sans attache, les yeux vides de la moindre lueur, perdue dans mes pensées. Comme à mon habitude, j’étais là sans être là. Mais à vrai dire peu importe l’état de ma présence tant que les choses étaient faites.


À la fin du repas, toujours songeuse, je m’assis dans la cuisine et me servis un verre de rouge. L’idée que j’allais finir entre ces quatre murs à survivre à ma propre vie, emprisonnée dans ma propre existence me tourmentait.


Les yeux plongés dans mon smartphone, endormie par le défilement hypnotique du fil d’actualité substantiel du profil sur mon réseau social, je me laissais tout à coup emporter dans un fou rire nerveux par la vidéo d’un petit chat chantant. Pliée sur ma chaise, entre larmes et rires, j’eus envie de partager mon euphorie avec mon compagnon et lui transférais alors l’innocente vidéo quand la petite voix de mon petit dernier me ramena à ma vie.

— Que tu es jolie, maman ! me dit-il les yeux remplis d’amour. Tu peux me lire une histoire du petit Tanguy s’il te plaît ! réclama mon petit Maxime.

— Maman arrive, trésor, va t’allonger, lui recommandais-je.

Petit Tanguy était un personnage que j’avais inventé pour mes enfants qui l’aidaient à surmonter ou à comprendre les règles et les défis du quotidien. Ainsi, lorsque nous étions partis à la plage la première fois, petit Tanguy lui conta le bonheur que lui avait procuré de découvrir la mer et la joie de jouer dans le sable. Mais il lui apprit surtout à ne jamais entrer dans l’eau seul sans surveillance, à ne pas s’enfouir profondément dans le sable et le mit également en garde de ne pas s’éloigner trop loin de ses parents. Du haut de ses sept ans, mon petit Maxime avait retenu chacun des enseignements du petit hippopotame joufflu que j’avais inventé pour eux, car les mots de ce compagnon d’aventures lui paraissaient rassurants, instructifs et passionnants.

— Laquelle allions-nous bien pouvoir conter ce soir ? lui demandais-je. 

— L’histoire où petit Tanguy s’est promené avec sa maman et qu’il n’a pas écoutée et qui a failli être renversée par une voiture ! Moi, aujourd’hui, je suis allé au parc avec papa, tu sais et j’ai bien écouté ! Tu vois, je ne me suis pas fait renverser moi ! me répondit-il le souffle coupé.

— Je suis fière de toi mon petit chat !

Je m’installais près de mon fils et tandis que je lui contais la petite histoire du jour, il se blottit tout contre moi et m’écouta attentivement.

— Bonne nuit, maman.

— Bonne nuit, Max. 

— Dis maman, c’est quand que tu m’écris la prochaine aventure de petit Tanguy ? me lança-t-il.


Cette question me tarauda toute la nuit.

Et s’il était là mon talent ?



- Fin du chapitre - 


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1. LE REVEIL

Je me présente, je m’appelle Nina. 

Je n’ai pas eu une vie ordinaire et je dirais même qu’elle a été extraordinaire. J’ai fait des choix qui en choqueront plus d’un et j’ai pris des libertés que j’assume.

Beaucoup d’entre vous en seront offusqués, certains en seront indignés et très peu me soutiendront. Mais cela m’importe peu, car je n’ai aujourd’hui aucun regret.     


Je regarde la mer, cette chère confidente qui a su recueillir mes larmes par tant de fois.

Le doux vent marin caresse mes cheveux. Au loin, mes deux jeunes fils s’amusent à courir vers les vagues. 

Que cela me fait du bien d’être là !

J’ai eu une vie qui en vaut dix et vécu tous les malheurs qu’une femme puisse endurer, traversé la mort et subi la haine. J’ai même été privée de mes droits sur mon propre corps.


Toutes ces épreuves m’avaient menée à croire que j’étais maudite. Néanmoins, en dépit de tout, jamais ma foi en l’amour n’avait été entachée, car ma résilience avait toujours été mon salut.


Je suis la mère de quatre enfants nés de pères différents. Cela vous choque ? Sachez que je n’ai plus aucun remords concernant ce choix peu orthodoxe et je bénis chaque jour le ciel d’être leur mère.

Toutefois, j’avoue, il fut un temps d’avoir eu du mal à assumer cette situation atypique, au point de vivre dans la crainte du jugement d’autrui. Dans notre société actuelle, il est bien plus aisé d’être un homme ayant eu des enfants avec plusieurs femmes que d’être une femme ayant eu des enfants de plusieurs hommes. Il persiste une intolérance sociétale face à cet état qui représenta à l’époque un poids pour moi. Alors, par simple mécanisme de défense et surtout par égard pour mes propres enfants, je me suis effacée du monde. Puis, me suis trouvée un compagnon avec une situation confortable, qui je le savais bien, m’apporterait une vie conventionnelle en apparence.

Comme un chrysanthème s’acclimate à son milieu, je me suis adaptée à ma condition inconsistante et me suis fondue dans le décor de ma vie. J’ai fini par arrêter de prendre soin de moi pour prendre soin des autres, m’abandonnant totalement au point de disparaître aux yeux du monde et surtout de moi-même. J’ai pris du poids, arrêté de me coiffer et suis devenue une gentille mère au foyer. Pas de celles qui pétillent et s’épanouissent dans la gestion de leur famille, plutôt celles qui attendent paisiblement le retour de leur homme tous les soirs dans la chaleur et la sécurité de leur vie monotone, sans jamais en retirer la moindre satisfaction.

Je m’ennuyais.



Et pourtant.

Un jour, en me regardant dans le miroir de ma salle de bain, affublée d’un tee-shirt XL et d’un jogging usé jusqu’à la corde, les cheveux ramenés en un vulgaire chignon, j’ai enfin réalisé. L’échéance de la quarantaine approchait. Voilà ce que j’étais devenue : une mère fatiguée, cachant une femme négligée.


Qu’avais-je fait pour en arriver là ? Où m’étais-je perdue ? Comment n’avais-je jamais réussi à me voir tel que j’étais devenue ? Ma conscience m’interrogeait.


Je m’étais mise en couple, avec Le quatrième mauvais gars qui piquait des colères incontrôlables. Il attendait de moi que je me taise et ouvre les cuisses à sa guise. En contrepartie, il m’offrait une existence à l’abri du 

besoin, rythmée par un train-train plus que quotidien dans une vie ritualisée. Réveil à six heures, petit déjeuner à sept, déjeuné à douze, dîner à vingt, vacances chez sa mère, émission du mardi, pizza du vendredi et j’en passe… Toute cette vie ne me ressemblait pourtant pas.


Je vivais jusque-là dans un état de demi-conscience. Je n’étais plus actrice de ma propre Vie, je la subissais. Une marionnette juste assez mobile pour réaliser les gestes du quotidien et entretenir une vie de famille, mais insuffisante pour comprendre l’état du bourbier dans lequel je m’étais fourrée.


Un jour, devant ce spectacle affligeant que me renvoyait mon miroir, j’ai enfin fini par me réveiller ! 


J’ai alors arrêté de me soucier du regard des autres, dit adieu au verre de vin du soir, stoppé le grignotage qui me consolait lorsque j’allais mal, arrêté les émissions de télé-réalité qui me servaient de compagnon de fortune durant mes après-midis de solitude et mis à la poubelle mes fringues usées, mais si confortables. Vous savez ces habits que l’on appelle « les habits de maison » et qui nous servent d’excuse pour faire un minimum d’effort. Il était temps pour moi de retrouver ma dignité de femme, car il était hors de question que j’atteigne mes trente-neuf ans dans un tel état ! Et encore moins les quarante… 

Arrêter l’alcool ne fut pas chose difficile. Éteindre la télé au profit de livres sur la confiance en soi fut aisé. En revanche, me mettre au sport et sortir de ma bulle fut un véritable défi. Je pensais naïvement que le miracle allait se produire parce que je le voulais. Mais, il me fallut bien plus que ma volonté pour oser me montrer en leggings moulant et une sacrée dose d’audace, que je mis un bon mois à obtenir.

À force de persévérance, je finis par trouver un rythme et réussis à me forger progressivement un corps. Pas celui d’un mannequin certes, mais celui de celle que je voulais être.

Toutefois, en dépit de ma ligne réajustée et de ma confiance en moi naissante, je n’étais pas encore devenue la femme que je voulais être, car il me restait encore la chose la plus importante d’entre toutes à gagner : ma liberté.

Quelle femme aime entendre dire « tu es trop grosse ! », « tu fiches quoi de tes journées ! », « regarde la femme de mon collègue, elle, c’est quelqu’un ! Toi t’es qui ?! », « on baise ?! » … sincèrement aucune. C’est comme un martèlement incessant. Un martèlement si fort qu’il enterre plus profondément les restes de votre confiance en soi. À ce stade, vous n’êtes plus une femme, vous n’êtes aucune chose.

En dépit de tous mes efforts, je le savais. Je n’en restais qu’une moins que rien aux yeux de mon compagnon et de la société. 


Il me fallait trouver une activité lucrative et salvatrice. Quelque chose qui me donnerait envie de me lever le matin et de sortir de chez moi. Cependant, avec le bagage minimum que j’avais, cela n’allait pas être une mince affaire.



- Fin du chapitre - 


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