Sélène - Tome 1 : Les Enfants de la Prophétie
Editeur : Les Ailes de l'Océan Edition
Auteur : Maddie Nell
Illustration : Maddie Nell
ISBN : 978-2-487542-08-2
Description :
100 ans ont passé et d'antiques ténèbres se réveillent.
Un terrible cycle s'est de nouveau enclenché et des marques apparaissent sur des enfants élus. Jeune princesse d'un royaume prospère, Sélène grandit entourée de ses parents aimants et de sa jumelle Manara. Jusqu'à que tout bascule le jour où sa mère et reine bien-aimée est retrouvée ... assassinée. La gouvernante et amie de la reine, Alyna, cherche des réponses et se confronte à d'étranges révélations :
Une Prophétie oubliée.Des enfants élus et maudits.Un univers en péril.
Au même moment, une étrange marque apparaît sur Sélène, scellant son destin... Ces enfants élus parviendront-ils à mettre fin à la Prophétie, une fois pour toute ?
Mis en ligne par | Lectivia |
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Dernière mise à jour | 05/04/2025 |
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« Alignement des sphères : Celes — Anima — Tenebrae
Présage : Vision floue — Influence : Néfaste »
Notes de l’Observateur — VIIe Cycle de la Malédiction
C’était un après-midi particulièrement doux qui s’achevait.
Dame Lynn avait passé presque toute la journée avec ses deux filles. Puis, profitant de l’heure d’étude des enfants, elle se pencha de nouveau sur la broderie qu’elle avait entamée la veille. Malgré son cauchemar de la nuit passée, elle parvenait à être sereine, et personne n’aurait pu se douter en l’observant qu’elle savait qu’elle allait périr avant l’aube.
Elle savait en effet certaines choses avant qu’elles ne se produisent par le biais de ses étranges rêves. Ce fut même grâce à l’un d’entre eux que des années plus tôt, elle sut que le prince de Jallahan viendrait à elle dans sa ferme isolée et qu’elle partagerait des années de bonheur avec lui.
Elle était à l’époque une simple paysanne, dépourvue de la moindre goutte de sang royal et n’avait pas non plus reçu une éducation qui la rendrait digne de prétendre à épouser un prince. Malgré cela, elle sut d’un simple regard qu’il ferait tout pour elle, peu importe la différence de leur rang.
Se remémorant ainsi sa rencontre avec son époux, elle posa son ouvrage fini sur ses genoux et contempla le ciel par la fenêtre de verre de son petit salon.
C’était l’une de ses pièces favorites et elle y avait passé beaucoup de temps depuis qu’elle était arrivée au château. Décorée avec goût, elle disposait de meubles luxueux et raffinés, ainsi que de nombreux vases aux magnifiques compositions florales embaumant la pièce de leurs parfums délicats.
D’immenses tableaux représentant les ancêtres de son époux s’étalaient le long du haut mur à l’opposé de la grande fenêtre de la pièce et elle s’émerveillait à chaque fois de la longévité de cette noble famille.
Elle se rappela aussi que ce fut dans cet endroit qu’on l’avait instruite à l’art de la conversation et de la poésie, de l’écriture, de la lecture et de toute autre matière qu’il lui fallait savoir afin de devenir une reine digne de ce nom. Cela fut la seule condition de son défunt beau-père, qui étant lui aussi tombé sous le charme de sa grande beauté et de ses manières douces — et aimant, de surcroît, beaucoup trop son fils unique — ne put se résoudre à la renvoyer chez elle.
Elle se plia aux exigences de sa nouvelle vie avec application et grâce, et elle finit même par conquérir la noblesse et le peuple de Jallahan, pour qui aujourd’hui elle incarnait une reine bien-aimée, attentive au bien-être de tous, intercédant auprès de son époux afin de porter leurs voix.
Le royaume était en paix, et Lynn n’était pas peu fière d’avoir pu y contribuer.
Elle regarda le soleil qui déclinait doucement et teintait les terres du nouveau roi, son tendre époux, de douces nuances orangées, puis par-delà, les reflets scintillants de la mer lointaine.
« C’est une si belle journée qui s’achève », songea-t-elle, appréciant jusqu’au bout l’astre lumineux qui caressait son visage de porcelaine de son agréable chaleur et qu’elle ne reverrait plus jamais.
Elle interrompit sa rêverie lorsque Dame Alyna vint l’appeler pour lui dire que ses filles avaient fini leurs leçons et l’attendaient. Se levant prestement, elle rejoignit sa dame de compagnie et préceptrice de ses enfants hors de la pièce, lui adressant un sourire un peu figé en passant devant elle.
Jetant un coup d’œil à la dérobée dans le salon de la reine avant de la suivre, Alyna remarqua une lettre posée presque en évidence à côté de l’ouvrage achevé sur la petite table centrale. Arquant un sourcil, Alyna referma la porte et rejoignit la reine dans le vestibule, le regard interrogateur. Celle-ci se contenta de lui sourire de nouveau, avec affection cette fois-ci, puis continua son chemin, suivie de sa fidèle amie, qui fronçait toujours les sourcils.
Elles marchèrent peu de temps, la chambre des fillettes étant assez proche du petit salon de leur mère. En entrant dans la pièce circulaire et joliment décorée de dentelles, de rubans et de bibelots étincelants, elles virent les jumelles assises sur leur grand lit à baldaquin qui jouaient à un jeu qu’elles venaient probablement d’inventer, dans lequel
elles se tapaient dans les mains en rythme tout en chantonnant.
La scène arracha un sourire tendre à Alyna qui ne regrettait pas d’avoir mis sa carrière militaire de côté pour devenir la gouvernante des petites et la dame de compagnie de sa reine bien-aimée. Elle avait certes de plus grandes aptitudes guerrières que de nourrice, mais elle s’acquittait fort bien de cette tâche qu’elle avait appris à aimer lors de ces cinq dernières années.
Elle avait certes eu de grandes appréhensions au départ, surtout au vu de son triste passé, mais ne pouvant rien refuser à la reine, elle avait fini par se laisser convaincre.
Après tout, elle était, pour sa plus grande fierté, l’amie la plus proche de la reine, et cette position privilégiée lui permettait d’assurer d’autant mieux leur protection.
Elle accepta donc ce rôle.
Elle s’ennuyait quelque peu au début de cette carrière plutôt paisible, mais plus les fillettes grandissaient, plus ses journées lui semblaient courtes.
Elle en arrivait parfois à se demander si elle avait le droit de ressentir un tel attachement pour les jeunes princesses, tant son péché lui semblait peser lourd dans son cœur…
Les remarquant enfin, Sélène sauta sur le parquet sans prendre la peine d’enfiler ses pantoufles et se jeta dans les bras de sa mère, ramenant brusquement Alyna à la réalité. La gouvernante cligna des yeux un bref instant et se recomposa un visage serein, dans le même temps qu’elle ferma son esprit à ses souvenirs douloureux. Elle observa Manara, qui comme toujours, suivait sa jumelle avec plus de retenue. La fillette enlaça timidement sa mère et Alyna s’émerveilla à nouveau des différences entre les deux sœurs, qui grandissaient avec l’âge, mais qui les rendaient si chères à son cœur. Nées à quelques heures d’intervalle, les fillettes étaient très dissemblables.
Manara, née la première, était d’un tempérament doux et réservé, et ressemblait presque trait pour trait à sa mère avec ses beaux cheveux dorés comme les blés, tandis que ses yeux étaient noisette comme ceux de son père. Mais si Sélène partageait les traits fins de sa sœur et de sa mère, sa longue chevelure était d’un joli brun et ses yeux, aussi bleus que ceux de Lynn, pétillaient d’énergie et de curiosité. Étant un vrai tourbillon, elle entraînait toujours sa douce jumelle à faire des bêtises malgré elle.
— Avez-vous bien étudié mes chéries ? s'enquit leur mère en les éloignant doucement d'elle pour les regarder.
— Oui, mère, répondit Manara avec la courtoisie qu'on lui avait enseignée depuis peu et qui seyait parfaitement à une jeune princesse.
Sélène, que les cours de l’après-midi avaient tout particulièrement ennuyé, décida de couper court à la conversation en changeant abruptement de sujet.
— Mana a fait un autre rêve étrange la nuit dernière ! s'exclama la petite princesse d'une voix fluette.
— C'est vrai ? Raconte-le-moi, mon trésor, encouragea Lynn à sa sœur.
Manara jeta un rapide coup d’œil timide à Sélène, qui trépignait, comme toujours, et prit une profonde inspiration.
— J'ai rêvé de vous, de père et de Lène. Nous étions des bébés dans les bras de père et il regardait le soleil se coucher depuis la fenêtre de votre salon. Puis vous êtes entrée, vous avez ôté votre amulette, celle avec la pierre irisée, et vous l'avez donné à Sélène. Vous nous avez embrassées, sourit à père et avez disparu tout à coup. Puis, sans savoir comment, je fus seule dans les bras de père…
« Elle a donc bien hérité de mon don », se dit Lynn, à la fois fière et affligée. « Heureusement que l’avenir ne lui apparaît pas aussi clairement qu’à moi pour l’instant. Ma toute petite n’en souffrirait que trop… »
Chassant vite ces pensées, elle s’adressa à sa cadette, un sourire de façade aux lèvres.
— Et toi Sélène, de quoi as-tu rêvé ?
— Moi, j'ai vu une jolie princesse aux cheveux d'or qui se mariait ! s'écria-t-elle sans plus de manières. Je crois même que c'était Mana, mais elle était beaucoup plus grande…
— Eh bien, comme c'est intéressant ! s'égaya Lynn.
Ton beau-frère était-il beau ?
— Oh oui ! C'était un très beau prince ! Je suis sûre qu'il te plairait, ma sœur.
— Je te crois, Lène. Étais-tu là toi aussi ? s'enquit Manara qui s'empourpra un peu.
— Oui, en effet et j'avais une belle robe verte et un prince charmant moi aussi. On se tenait même par la main !
— En voilà un beau rêve ma chérie ! Peut-être
est-il prémonitoire…, s'amusa Lynn, enfin égayée par l'énergie communicative de la petite brunette.
— Ce serait merveilleux, hein Mana ?
— Oui, probablement…, acquiesça-t-elle tout doucement.
Un peu en retrait dans la pièce, Alyna toussota légèrement. Si elle les laissait ainsi toutes les trois, elles seraient capables de discuter de tout et de rien toute la nuit, tant Sélène était bavarde et tant sa sœur et sa mère aimaient à l’écouter.
— Dame Lynn, mesdemoiselles, je crois qu'il est temps de se préparer pour le repas du soir, intervint-elle.
— Tu as raison ma chère amie. Il se fait tard, répondit la reine en jetant un coup d'œil par la fenêtre de la chambre.
— Voulez-vous les coiffer comme à votre habitude ma Dame ?
— Oui, je te laisse les habiller et je les coifferais. Mais je t'en prie, sois plus familière avec moi. Après tout, nous avons le même âge et de plus, nous sommes un peu comme deux sœurs nous aussi, lui répondit la reine en souriant.
— Dame Lynn, je ne peux me permettre…
— Si maman le permet Nana, ne lui dis pas non ! s'interposa Sélène avec un air sévère.
— En voilà une petite fille bien effrontée, s'amusa la gouvernante en observant son visage poupin.
— Il faut excuser Lène, Dame Alyna. Elle ne s'intéresse pas beaucoup au cours de bonnes manières que vous nous enseignez, déplora sa jumelle.
— Contrairement à toi, ma chère Manara, qui est très appliquée en ce domaine, ainsi que dans tous les autres. Je suis si fière de tes progrès ! Quant à toi, jeune fille, je m'occuperais de ton cas en temps voulu, et tu auras à apprendre le double pour rattraper ta sœur ! répondit Alyna en regardant Sélène avec un air menaçant surjoué.
Loin d’être impressionnée, la fillette tourna le dos à l’ancienne guerrière en croisant les bras. Elle afficha une mine boudeuse si exagérée qu’elle fit se tordre de rire sa jumelle, malgré tous ses efforts afin d’appliquer ses leçons de bonne conduite. Se retournant vers les deux femmes, Sélène soutint un instant son expression — qui tenait plus de la grimace — avant de se mettre à rire elle aussi devant la mine découragée de sa gouvernante. Dame Lynn éclata à son tour d’un rire cristallin et serra à nouveau ses filles tendrement.
Alyna les contempla avec un grand sourire aux lèvres et enjoignit de nouveau les petites à se préparer pour le repas du soir.
Les fillettes la suivirent gaiment vers la petite pièce où étaient rangées leurs belles toilettes, sous le regard soudain infiniment triste de leur mère.
« Comme il est difficile de les abandonner, je les aime tant. Si seulement elles pouvaient grandir ensemble au moins… cela aurait pu les consoler… »
Elle arrêta le cours de ses pensées en sentant une larme couler sur sa joue. Elle l’essuya d’un revers de la main et s’assit sur le bord du lit en attendant qu’Alyna ait fini de les habiller. Les fillettes s’installèrent ensuite à tour de rôle devant la reine qui coiffa leurs longues chevelures avec tendresse et en fit d’élégants chignons.
L’heure du dîner étant arrivée, Dame Lynn et ses filles se joignirent au roi et à ses convives à table, suivies d’Alyna, qui étant toujours pour le roi un de ses meilleurs comandants — et une de ses plus anciennes amies — se voyait accorder cet égard et ne mangeait presque jamais aux cuisines avec les autres domestiques.
Le repas fut ponctué de conversations sur les audiences qui eurent lieu dans la journée, l’état des terres jahallaniennes, les relations diplomatiques entre le royaume et ses voisins, les problèmes causés par les guildes de voleurs et autres brigands qui profitaient de la prospérité du continent pour s’en donner à cœur-joie à leurs larcins, puis se termina sur les progrès des filles dans leurs études diverses.
— Ainsi donc, Manara est une jeune fille modèle et les règles de bienséance n'ont plus de secrets pour elle. Elle se débrouille très bien pour toutes les autres matières que je leur enseigne. Sélène aussi se montre plutôt douée en tout, mais n'a en revanche aucune discipline, malgré ma poigne… s'exaspéra Alyna.
— Eh bien, ma chère, je crains qu'elle ne tienne ce trait de moi ! s'amusa le roi. J'étais incapable d'obéir à qui que ce soit lorsque l'étude ne m'intéressait pas et mes précepteurs ont souvent dû abdiquer ! Mais ne vous découragez pas, vous trouverez bien quelque matière qui l'intéressera et calmera son tempérament. Pour ma part, ce furent la chasse et le maniement des armes.
— Votre Majesté est de bon conseil. Je la formerai donc à l'art du combat. Elle aura peut-être autant de goût pour ces arts que Votre Majesté.
— Excellente idée ! Cependant, si vous faites de Sélène une guerrière avec son tempérament actuel, je crains fort que ni vous, ni moi ne puissions plus lui inciter à l'obéissance. Elle me détrônerait sûrement ! répondit-il en jetant un coup d'œil malicieux en direction de Sélène.
— Je n'oserai jamais ! s'exclama l'intéressée, incrédule.
Tous les regards se tournèrent vers Sélène et, constatant sa mine déconfite, les convives commencèrent à pouffer. Comprenant enfin que son père plaisantait, elle lui sourit en lui faisant un clin d’œil et l’assemblée ria de bon cœur.
À la fin du repas, Alyna donna un dernier cours de géographie aux petites dans leur chambre, sous le regard bienveillant de la reine, puis elle se retira pour lui laisser le soin de leur tresser les cheveux, puis de les coucher, comme à son habitude.
Se glissant sous ses couvertures, elle se mit à songer qu’elle était heureuse de servir des monarques aussi bons, ainsi que leur adorable progéniture. Elle songea qu’elle pourrait reprendre son ancien poste de commandant lorsqu’elle aurait achevé l’apprentissage des petites, puis elle se dit que la reine aurait sûrement d’autres enfants et voudrait la garder près d’elle.
Elle allait enfin s’endormir lorsqu’elle repensa à la lettre sur la petite table. C’était une lettre laissée là par la reine, cela ne faisait aucun doute, mais à qui l’avait-elle adressée et que contenait-elle ? Chassant de son mieux sa curiosité, elle ferma les yeux et s’efforça de laisser le sommeil la gagner.
Lorsqu’Alyna fut partie, Lynn habilla ses fillettes qui tombaient de fatigue dans leurs belles robes de chambre qu’elle avait elle-même brodées. Elle les borda et leur chanta leur berceuse préférée qui les endormit aussitôt. Elle allait les embrasser lorsqu’elle entendit les pas du roi derrière elle. Il la serra dans ses bras puis souleva sa chevelure dorée avec douceur afin d’embrasser amoureusement sa nuque. La reine se laissa faire volontiers, puis se retourna afin de l’embrasser à son tour. Ils s’étreignirent ainsi un moment, puis le roi alla déposer un baiser sur le front de ses filles endormies. Il contempla ses petites princesses en souriant, puis alla de nouveau embrasser sa femme avec insistance.
— Rejoins-moi vite Lynn, lui murmura-t-il en la regardant avec convoitise.
— Je ne saurais désobéir à mon roi, le taquina-t-elle.
— Alors je t'attends dans nos appartements, mon amour.
Il allait quitter la pièce, lorsqu’elle lui saisit la main. Elle l’aimait tellement et avait peur tout à coup. Sa gorge se noua et la détermination froide et résignée qui l’avait animée depuis le début de la journée flancha un instant.
— Duncan… commença-t-elle, hésitante.
— Qu'y a-t-il mon aimée ? interrogea-t-il en constatant avec étonnement qu'elle avait un air triste et les larmes aux yeux.
— Aimeras-tu toujours nos deux filles ? Veilleras-tu à leur bonheur ?
— Pourquoi me dis-tu cela ? Bien sûr que je les aimerai toujours et que je ferai tout mon possible pour qu'elles soient heureuses.
— Je n'en doute pas, mais si jamais le destin vous éloignait de quelque façon, serais-tu capable de faire abstraction de tes craintes et de leur ouvrir ton cœur ? De prendre soin d'elles et de les aider de ton mieux, peu importe où la vie les mènera ?
— Oui, je le ferai, ma douce… Mais pourquoi ces étranges questions ? demanda-t-il avec inquiétude.
Elle ne supportait pas de mentir à son époux, mais elle savait que si elle lui parlait de ce rêve et de son don, il ferait tout pour contrer son destin et risquait de perdre la vie lui aussi. Or, il devait vivre à tout prix. Au-delà d’être l’amour de sa vie, il était un roi juste et bon, ainsi qu’un père aimant. Elle avait été stupide de céder ainsi à la panique, mais l’heure approchant peu à peu, elle eut la faiblesse de poser ces questions, même si elle en connaissait déjà les réponses. Non, il fallait qu’il vive de toute façon, c’était seulement elle qui devait mourir ce soir.
Son rêve était clair. Elle reprit doucement contenance.
— Pour rien, répondit-elle finalement. Je voulais juste m'assurer que tu seras toujours le bon père que tu es.
— Eh bien, si ce n'est que cela… Tu m'as fait peur mon aimée, mais rassure-toi, je tiendrai parole.
— Merci, mon amour…
« Merci pour ce doux mensonge. »
— Je vais me coucher, te sens-tu mieux à présent ?
— Oui, ne t'inquiète pas. Je suis juste un peu fatiguée, répondit-elle en tâchant de cacher la tristesse de ses yeux derrière un sourire.
— Très bien, alors ne tarde pas trop à me rejoindre, lui souffla-t-il en caressant sa joue.
Il embrassa sa main et quitta la pièce. Lynn se retourna vers les petites, déposa un baiser sur leur front et les borda à nouveau. Elle se dit qu’elle avait eu une existence heureuse après tout et que malgré toutes les choses qu’elle ne vivra pas à leurs côtés, elle les vivrait de là-haut, dans cette lointaine contrée, cet autre monde, où vont les âmes des bienheureux, et d’où elle pourra veiller sur ceux qu’elle aime.
Un peu rassérénée, elle ferma doucement la porte de la chambre des jumelles et rejoignit son époux pour une dernière nuit d’amour.
Au milieu de la nuit, Lynn décida de se rendre à son petit salon. Elle se leva, enfila une robe de chambre et juste avant de quitter la pièce, se retourna et contempla celui qui l’avait comblée ces sept dernières années. Duncan était décidément le plus bel homme qu’elle ait jamais rencontré. De haute stature, le corps souple et musclé par l’exercice et la chasse, plein de vivacité et de charisme, il était un roi exceptionnel et faisait toujours attention à être juste dans ses décisions. Elle ne put s’empêcher de revenir un instant vers lui, et chassant une mèche brune de son visage, elle déposa un dernier baiser sur ses lèvres.
« J’aurais voulu t’éviter tout cela, mon tendre amour, mais je ne le peux pas… Tout ceci nous dépasse, mais cela doit être ainsi. Pardonne-moi. Je t’aime tant… ».
Avant de perdre à nouveau sa volonté, elle saisit une lampe et quitta la chambre. Elle traversa les corridors jusqu’à son salon sans plus se retourner, bien qu’elle hésitât en passant près de la chambre de ses filles.
« Non, cela me rendra les choses encore plus difficiles », se tança-t-elle. Elle se força donc à continuer d’avancer le long du corridor sombre en tâchant de garder sa détermination à jouer son rôle jusqu’au bout intacte, se disant que ses adieux étaient faits à tous ceux qu’elle chérissait le plus. Arrivée à destination, elle s’installa dans le même fauteuil près de la fenêtre où elle avait fini sa broderie un peu plus tôt et attendit.
Au bout de quelques minutes, soudainement, le ciel se couvrit et la lune se teinta de rouge. À la vue de ce paysage sinistre, la reine sut que le Cycle prenait fin et que bientôt, elle quitterait ce monde, comme elle l’avait vu en rêve il y a des années de cela. Elle regarda l’intérieur de son poignet droit et constata sans surprise qu’une étrange marque y était apparue, gravé comme au fer rouge dans sa chair.
Malgré elle, son pouls s’accéléra et elle se força à respirer profondément pour se calmer.
« Tout se déroule exactement de la même manière », se dit-elle.
« Il faut que je sois forte. »
Un souffle glacé dans son dos la fit frémir, mais elle chassa sa peur aussitôt. La faible lueur de la lampe qui illuminait la pièce projeta une autre silhouette que la sienne sur le mur. Une ombre qui n’appartenait à aucun corps.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle à l'Ombre.
— Peu t'importe, qui je suis, mais comme tu le sais, tu vas mourir de ma main, répondit l'Ombre dans un sifflement presque inaudible.
— Eh bien, faites donc.
L’Ombre siffla de nouveau de façon saccadée, comme si elle venait d’éclater de rire.
— Tu es bien celle que je cherche, Clairvoyante ! Si insolente… Es-tu si pressée d'abandonner la vie ? Ton pouvoir aurait pourtant été profitable à ton camp…
— Je ne me déroberai pas, car si je le faisais, vous me chercheriez quand même en détruisant autant de vies que vous le pourrez pour me retrouver.
— Tiens donc ? Tu sembles plus raisonnable qu'il n'y paraît… Alors, dis-moi une chose avant que je t'égorge… Où se cache la Clé ?
— Je l'ignore, répondit Lynn, impassible.
— Tu mens ! siffla l'Ombre de façon menaçante.
— Je n'ai pas eu le temps d'avoir cette vision, rétorqua- t-elle avec la même indifférence feinte.
— Très bien, comme tu l'entends… Je suppose que tu ignores aussi qui est notre Élue ?
— Effectivement, je n'en sais rien puisqu'elle vient à peine de naître.
— Dans ce cas, nous aurons l'avantage dès le départ cette fois-ci. Dès que je t'aurai tuée ! ricana l'Ombre, triomphante. Elle en sera ravie ! Je regrette seulement de ne pas pouvoir éliminer toutes les personnes de ce château juste au cas où tu y cacherais la Clé… Mais mes ordres, aussi insensés soient-ils, n'impliquaient que ta mort, ma jolie. Pour l'instant…
— Que penserait votre Maîtresse si elle vous entendait… sourit Lynn avec effronterie.
— Décidément, tu sembles bien enthousiaste face à ta propre mort ! Quel aplomb ! Tu ne trembles même pas…
— Dites-vous que je m'y préparais depuis bien longtemps de toute façon.
— C'est étrange quand même, susurra l'Ombre en s'approchant d'elle. Et un peu dommage, quelque part…
Elle ressentit le froid si intensément qu’elle ne put réprimer le frisson qui lui parcourut l’échine. L’Ombre en sembla satisfaite. La créature la jaugea un instant. Puis, probablement lassée de ce petit jeu, elle fit sortir ses longues griffes effilées du mur en direction de la gorge laiteuse de la reine.
— Fort bien. Et maintenant adieu, Clairvoyante !
Lynn eut juste le temps de revoir en son cœur tous les êtres qu’elle chérissait et souhaita qu’Alyna trouve bien sa lettre avant les autres.
« Pardon, mon amie. J’espère que tu comprendras et que tu sauras me pardonner… »
Une vague de froid glissa sur sa gorge. Elle ferma les yeux et tombant sur le sol qui se teintait déjà de rouge, la vie quitta son corps.
L’Ombre, avant de s’effacer, fit rouler une mèche blonde de la reine morte entre ses doigts effilés et pointus et la coupa. Quelques instants plus tard, elle avait retrouvé son corps, et c’est dans la main d’un homme de chair et de sang que la mèche se retrouva. Encore haletant après ce sort de lien complexe, l’homme vêtu de noir porta la boucle soyeuse à son nez aquilin, reniflant avidement le parfum délicieux de sa victime.
— Oh oui… Quel dommage de perdre une telle beauté sans avoir pu en profiter…
« Observations : Fin de l’alignement — Perte de la Clairvue »
- Fin du chapitre -
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À L’Observatoire
Jadis, l’équilibre de l’Univers reposait sur les sept mondes.
Celes, domaine des dieux, créateurs de toute vie. Devenus simples observateurs de l’Univers, ils ne quittent plus leur monde lointain.
Le Paradis, lieu paisible où les âmes défuntes, pures et méritantes, reposent désormais en paix.
Magus, le monde des Mages, garants de l’équilibre de l’univers. Voyageant à travers les six premiers mondes, ils sont « le bras » des dieux.
Anima, terre peuplée d’une race mortelle : les humains.
Ne possédant pas de magie, ce monde neutre est la balance dans cet Univers.
Faërie, peuplée de créatures aussi diverses qu’extraordinaires, abritant les Primordiaux, les Esprits des éléments.
Les Enfers, lieu entouré d’une mer de lave, où les âmes pécheresses font pénitence dans l’espoir de rejoindre un jour le Paradis.
Et enfin Tenebrae, monde de l’obscur, où les âmes les plus corrompues se rassemblent et se muent en Ombres malfaisantes, dévouées au Chaos.
Afin de maintenir cet ordre universel, les dieux créèrent des artéfacts puissants, porteurs de l’équilibre de l’Univers…
Feu, Terre, Air et Eau trouvèrent ainsi refuge auprès des peuples de Faërie. Ces quatre éléments, ou Esprits Primordiaux de la nature, furent scellés corps et âmes dans des gemmes.
Enfin, les dieux créèrent deux orbes magiques concentrant en eux un immense pouvoir.
L’Orbe de Lumière, qu’ils gardèrent auprès d’eux à Celes.
Et l’Orbe des Ténèbres, qu’ils envoyèrent le plus loin possible d’eux, en Tenebrae.
Durant des temps immémoriaux, il en fut ainsi.
Cependant, la magie apparut soudainement en Anima et l’équilibre se rompit…
Extrait « Du Chant de la Fin », Registre des Calamités
- Fin du chapitre -
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« La mort n’est pas la fin.
Il est des morts qui marquent le début de tout,
du pire comme, du meilleur. »
Inconnu
Au petit matin, Alyna fut réveillée par les cris affolés des servantes qui revenaient des chambres de l’étage supérieur.
« Cela n’augure rien de bon », pensa-t-elle en sautant vivement hors de ses couvertures.
Habillée seulement d’une tunique longue laissant voir ses jambes élancées et ses cheveux bruns en bataille lui tombant jusqu’aux reins, elle accourut, épée en main, en direction du piaillement des domestiques.
— Que se passe-t-il ? rugit-elle en agrippant le bras de la servante la plus hébétée.
— Dame… Dame Lynn… souffla la pauvre malheureuse d'une voix éraillée.
Il ne lui fallut pas en entendre plus. Elle grimpa l’escalier qui conduisait aux appartements royaux et poursuivit sa course dans le corridor si vite qu’elle dût renverser la moitié des bibelots et autres décorations sur son passage. Entrant en trombe dans la chambre de ses souverains et constatant que celle-ci était vide, elle tendit l’oreille. Des sanglots lui parvinrent du petit salon de la reine et elle s’y précipita.
Le spectacle qu’elle vit la cloua sur place.
Lynn baignait dans une mare de sang et ses longs cheveux blonds teintés de rouge masquaient à peine la coupure profonde de sa gorge. Duncan était livide à ses côtés, à genoux dans la flaque pourpre, tenant désespérément sa main glacée dans la sienne.
Une jeune servante sanglotait à quelques pas d’elle, trop choquée pour bouger.
Alyna revint à elle avec difficulté, et chassant les larmes de colère et de désespoir qui coulaient malgré elle sur ses joues d’un revers de la main, elle avisa la lettre qui l’avait tant intriguée la veille. Elle s’approcha de la table et reconnut son nom inscrit en lettres fines sous le sceau de la reine.
Surprise, sa curiosité détourna un instant son attention et elle se dirigea vers la petite table. Elle glissa discrètement la lettre qui lui était adressée dans une poche de sa tunique. Levant à nouveau les yeux, son cœur se brisa. Le roi était toujours prostré devant elle et Alyna sentit un torrent de larmes couler de ses yeux.
Pourquoi personne n’avait rien vu et entendu ?
Si seulement elle avait été alertée, peut-être aurait-elle eu le temps de la sauver. Voir le roi si digne, si fort, dans un tel état de détresse et la reine, si blanche et si sereine dans la mort lui sembla irréel. Alyna fronça un instant les sourcils et se demanda si son expression avait un quelconque rapport avec cette lettre qu’elle lui avait laissée.
Étant la seule au courant que Lynn possédait apparemment le don étrange de « voir l’avenir », elle ne faisait logiquement jamais rien par hasard. Malgré son scepticisme, la jeune femme demeura perplexe un moment. Semblant enfin s’apercevoir de sa présence, le roi s’adressa à elle d’une voix tremblante.
— Qui a osé lui faire ça ? Pourquoi ? Qu'on cherche le coupable ! Qu'on me l'amène pour que je l'étripe de mes mains !
Sur ces mots, sa voix s’étrangla et il s’effondra.
Il pleura de toute son âme la perte de sa bien-aimée, entre cris de rage et de désespoir. Alyna décida de se ressaisir, car dans un tel état, le roi n’était pas en mesure de prendre les bonnes décisions et risquait probablement de demeurer ainsi indéfiniment.
Or, il fallait effectivement lancer les gardes à la poursuite du meurtrier, renforcer la sécurité du château et enfin, faire nettoyer le corps de Lynn pour la préparer aux rites funéraires. Elle alla donc chercher gardes et domestiques et leurs donna des ordres afin que le nécessaire soit fait.
Elle retourna ensuite au petit salon de la reine et constata avec peine que le roi n’avait pas bougé d’un pouce. Alyna pensa alors aux petites. Elle essaya de ramener le roi à la réalité en lui agrippant les épaules et en lui enjoignant de se ressaisir, mais il s’accrochait fermement à sa femme et elle n’insista pas plus. Les larmes sur ses propres joues ne se tarissaient pas, mais elle dû admettre qu’il fallait qu’elle les taise pour s’occuper de Sélène et Manara.
Comment leur expliquer que leur mère adorée n’était plus de ce monde sans briser leurs jeunes cœurs ?
À peine s’était-elle faite cette réflexion que des petits pas s’arrêtèrent net à l’entrée de la pièce.
Sélène.
Aussi pétrifiée que sa gouvernante quelques minutes auparavant, elle articula avec peine :
— Nana… pourquoi maman ne bouge plus ?
N’arrivant pas à répondre à l’enfant, elle alla vivement vers la petite et l’emporta loin du salon. Elle la berça doucement dans ses bras et ravala tant bien que mal ses larmes.
Sélène ne réagit pas, elle était figée, comme glacée, les yeux hagards.
Alyna la ramena alors dans sa chambre où Manara dormait encore. Les servantes accouraient dans le couloir à l’extérieur et Alyna ferma la porte de la chambre derrière elle.
Elle déposa Sélène sur son lit, s’agenouilla face à elle et la regarda dans les yeux, les siens rougit par la peine et ceux de la fillette, si clairs, mais si brumeux, si identiques à ceux de son amie qui les avait quittés.
— Sélène… commença-t-elle en faisant un effort immense pour contrôler sa voix. L'âme de ta mère… est partie… pour un monde meilleur.
— Pourquoi ?
La petite fille commença à sangloter et sa sœur se réveilla à côté d’elle. L’inquiétude remplaça la fatigue sur son petit visage et elle alla s’assoir face à Alyna elle aussi.
— Que se passe-t-il ? s'enquit-elle.
— Maman est…, hoqueta Sélène qui ne put finir sa phrase et explosa en sanglots.
— Ta mère nous a… quittés… annonça la gouvernante à bout de force à la fillette.
— Ce n'est pas possible ! cria Manara si fort qu'elle fit sursauter Alyna. Ce n'est pas vrai !
Elle pleura aussi bruyamment que sa sœur et Alyna, ne sachant plus que faire ni que dire, les prit toutes les deux dans ses bras et pleura longtemps avec elles.
Les larmes des petites ayant fini par se tarir, Alyna demanda à des servantes de les préparer pour les funérailles de leur mère.
Elle retourna ensuite au petit salon pour mettre les choses en ordre dans son esprit, mais fut incapable d’y pénétrer. Du seuil, elle constata que le corps de Lynn avait été emporté et la flaque de sang nettoyée. Le roi quant à lui s’était retiré dans ses appartements avec l’aide de plusieurs serviteurs qui tentaient sûrement de le raisonner et de l’habiller pour la cérémonie. Elle jeta un coup d’œil par la fenêtre et vit que des domestiques commençaient à installer le bûcher funéraire dans la grande cour du château.
« Tout sera prêt en milieu de journée », songea-t-elle la gorge serrée.
Épuisée par les évènements et désemparée qu’aucun suspect ne fut encore découvert afin qu’elle puisse au moins se défouler sur l’immondice qui avait ôté la vie de sa reine bien-aimée, elle se décida à enfin à entrer dans la pièce.
Mettant de côté sa colère, elle observa attentivement l’endroit et se souvint avec une clarté soudaine que la grande fenêtre de verre était parfaitement intacte et fermée quand elle y était entrée il y a quelques heures.
Elle ne présentait aucune trace sur l’extérieur, ni fissure. Le coupable n’avait donc pas pu attaquer la reine en s’introduisant par ici. De même, le palais était protégé par de nombreux gardes et au moins une dizaine de sentinelles veillaient sur les remparts du château cette nuit-là. Il était vraiment incompréhensible qu’une telle tragédie se soit produite dans ces circonstances.
Elle avait beau y réfléchir, elle ne comprenait pas comment une telle chose était possible. Elle marchait de long en large à travers le salon lorsque le crissement léger du papier dans sa poche l’arracha à son intense réflexion. Elle s’immobilisa et saisit la lettre qu’elle ouvrit vivement.
« Garde — Épée — Cadeau »
Lisant les quelques mots inscrits par la reine, elle fronça les sourcils avec perplexité. S’agirait-il d’un message codé ? Épuisée, aucune idée ne lui vint à l’esprit. Pour le moment elle rangea à nouveau la lettre dans sa poche et tâcha de prendre sur elle pour le reste de la journée.
Alyna se souvint qu’elle n’était vêtue que d’une tunique et se décida donc à aller s’habiller. Les préparatifs étant avancés, il lui fallait se hâter. Passant près de la salle des bains pour rejoindre ses quartiers, elle vit la reine installée sur une civière de fortune. Quelques servantes s’affairaient à la nettoyer du sang qui la souillait avec des linges trempés dans de l’eau chaude. Elles avaient pratiquement terminé lorsqu’Alyna leur demanda à être seule un moment avec sa défunte souveraine.
Elles s’éclipsèrent sur-le-champ et Alyna s’approcha de Lynn.
En y regardant de plus près, sa blessure était profonde, mais si nette qu’elle semblait n’être qu’une égratignure. Alyna ne connaissait aucune arme capable de faire un travail de mort si proprement et ce malgré sa connaissance pointue en la matière. Elle contempla le doux visage de Lynn et vit la même sérénité que plus tôt.
« Vous continuez à m’étonner Majesté. Même dans la mort, vous demeurez une énigme pour moi… »
Des larmes naquirent aux coins de ses yeux et elle se rappela l’amitié et l’affection sincères que la reine lui avait toujours témoignées.
Elles étaient deux femmes très différentes, mais elles se comprenaient l’une et l’autre instinctivement. Elle avait été la première amie de la reine au château et bien que Lynn en eu d’autres par la suite — qui étaient toutes de nobles dames, bien mieux loties qu’elle — elle ne l’avait jamais délaissée pour autant.
Elle l’avait réellement traitée comme une sœur et lui avait même permis de voyager en dehors du royaume à maintes reprises pour qu’elle puisse revoir sa famille dans son village natal de Solnaren, de même que ses plus rares escapades pour rejoindre quelques jours son amant, Gareth, un nomade qui n’arrêtait jamais de voyager sur tout le continent.
Elle lui avait toujours été pleine de bonté et de compréhension, à elle qui était devenue tellement utile au royaume qu’elle y avait été confinée longtemps malgré elle.
Mais la reine avait compris que ses proches lui manquaient terriblement et avait intercédé auprès du roi pour qu’elle puisse être libre dès qu’elle en ressentirait le besoin.
Alyna saisit la main de marbre de la reine et la posa sur sa joue, libérant la tristesse qui lui comprimait la poitrine. Elle pleura longtemps et lorsque ses larmes ne coulèrent plus, elle éloigna doucement la main de Lynn.
Elle arrêta net son geste en voyant la marque sur son poignet. Une sorte d’œil imbriqué dans une étoile, comme tracé sur la peau blafarde de la défunte.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? », s’interrogea-t-elle en fronçant les sourcils. « De plus en plus étrange… mais cela me dit pourtant quelque chose… »
Elle mémorisa l’aspect de la marque, essuya les larmes sur son visage et alla rappeler les domestiques pour qu’elles finissent leur travail. Elle leur recommanda de lui mettre une belle robe à manches longues et surtout de masquer la coupure pour que les petites ne soient pas plus choquées encore. Les servantes acquiescèrent et se remirent au travail en reniflant.
« Elles vous pleurent aussi, mon amie. Vous étiez la meilleure des reines et la meilleure des femmes. »
Avant de sombrer à nouveau dans le chagrin, Alyna tourna les talons et entreprit de finir de se préparer elle aussi afin d’aller rejoindre les jumelles et leur offrir ses bras pour les consoler.
La cérémonie eut lieu peu avant le coucher du soleil. Duncan, qui s’était ressaisi avec peine, prononça un long éloge en l’honneur de son épouse, qu’il finit, acide, sur la menace du châtiment terrible que recevrait le coupable. Malgré la peur qu’inspira son discours, tous les membres de l’assemblée pleurèrent sincèrement leur douce souveraine et prièrent les dieux pour qu’elle atteigne la terre des bienheureux.
Alyna observait la reine, qui semblait dormir paisiblement, maintenant qu’on l’avait nettoyée, habillée et coiffée. On avait tressé un beau collier de fleurs sauvages pour masquer la plaie de sa gorge. Les mains croisées sur sa poitrine et un léger sourire flottant sur ses lèvres, elle restait toujours aussi belle que mystérieuse.
Manara et Sélène allèrent déposer une rose à tour de rôle sur ses mains. Leur père, après un ultime baiser d’adieu, mit le feu au bûcher funéraire. Les petites détournèrent le regard tandis que le roi pleura en silence.
Les jumelles avaient séché leurs larmes. Leurs yeux rouges et leurs minois sombres ne laissaient cependant aucun doute sur l’état de leurs cœurs brisés. Elles avaient perdu leur mère adorée et leur monde semblait s’écrouler autour d’elles à présent. Elles ne se lâchaient plus, tant et si bien que la jointure de leurs petits doigts avait blanchi, et derrière elles, une main sur leurs épaules, Alyna faisait tout pour réprimer la colère qui montait en elle depuis que ses larmes s’étaient taries.
Elle s’était jurée de venger son amie à tout prix. Dès qu’elle aurait fini l’éducation des petites, elle parcourrait le continent de long en large s’il le fallait et mettrait la main sur l’assassin, quel qu’il soit. Elle se calma progressivement en pensant au plaisir qu’elle prendrait à le mettre en pièces.
- Fin du chapitre -
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