Yabécédaire
Editeur : UDIR
Auteur : Jean-Louis PAYET
ISBN : 978-2-87863-102-9
Mis en ligne par | Lectivia |
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Dernière mise à jour | 11/10/2024 |
Temps estimé de lecture | 3 minutes |
Lecteur(s) | 5 |
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Qui pourra remplacer le besoin par l’envie ?
Daniel Balavoine
Beurk ! Car je vais parler d’un mot à double syllabe, commençant par c et finissant par a, familier à tous les petits et que certains adultes, qui s’offusquent du moindre écart de langage et qui ne jurent jamais, jamais à part peut-être un bécalu, voire un taabouret, emploient à tout bout de champ (je n’ai pas dit qu’ils l’ont toujours à la bouche), même, et surtout lorsque vous êtes à table.
— Ben quoi, c’est naturel !
Si vous avez le toupet de vous récrier, c’est pire. Si encore on se contente de vous regarder de travers, non-va, il faut qu’on l’emploie encore une fois devant vous, ce joli mot, juste pour le plaisir.
J’ai donc pris le parti de remplacer ce vilain mot par une esperluette &.
— Voui, comme si vous, vi @ pas vous ! Là, j’ai mis une arobase parce qu’on a employé un verbe chuintant un peu plus âpre.
Lors d’un dîner entre amis, nous en étions au dessert, quand une petite a tiré la manche de sa maman et d’une voix haut perchée a fait savoir qu’elle avait envie de faire &. Tout le monde a parfaitement entendu, sauf la maman qui a voulu s’assurer que c’était bien ce qu’elle avait cru entendre.
— Tu veux faire &, ma chérie ?
— Oui, moin l’a envie de faire &.
La maman s’est levée et a pris la petite par la main, et pour que tout le monde comprenne bien l’importance de ce qu’elle allait faire, elle en a rajouté une couche :
— Escuse à moi, la petite veut faire &.
J’allais me lancer dans une phrase lourde d’ironie qu’on appelle le foutant, du genre veuillez nous tenir informés de la suite des événements. Pas eu le temps. Une voix à la cantonade nous a renseignés, en français malmené :
— Maaa chérie, mais quoi tu as mangé donc ?
La question méritait sans doute d’être posée. J’ai regardé ma coupe de crème au chocolat, mais allez savoir pourquoi, je n’y ai plus touché.
— Tu ne finis pas ta crème ?
— Non, ça ressemble à du &.
Il me restait un filet de vernis social, aussi, cette remarque, ne l’ai-je pas faite à haute voix. Il faut dire que le même mot, selon la personne qui le prononce, n’éveille pas les mêmes images et ne provoque pas les mêmes réactions. D’abord, moi, ils ne m’auraient pas emmené au cabinet, ils m’auraient regardé en graine et, comme ils n’avaient pas vraiment le sens de mon humour, ils ne m’auraient plus jamais invité chez eux.
J’aurais dû.
Finalement, esperluette ou arobase, ici ça ne sert pas à grand-chose, je suis toujours aussi écœuré et je comprends que vous le soyez vous aussi, alors changeons vite de sujet.
- Fin du chapitre -
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Tous ces tournants-là l’a soule à moin ;
quand le car l’arrive en bas la Pointe,
moin l’étais fine casse la pompe trois-quatre fois.
Casser la pompe : l’expression est quasiment passée à la trappe, la plupart du temps, les gens préfèrent dire vomir.
Les mêmes mond’ qui parlent d’& s’attardent sur le rejet de pompe et semblent s’en gargariser. On en disserte à table en n’oubliant pas le préambule : Ce n’est ni le moment ni le lieu, mais… Puis vous trouverez toujours quelqu’un, entre la salade et le plat de résistance, qui a une anecdote encore plus ragoûtante et n’arrive pas à se la caler pour plus tard ou pour jamais. Alors vous gardez pour vous vos haut-le-cœur, parce qu’apparemment vous êtes bien le seul que ça incommode, et qu’il serait très malvenu d’étaler sur la nappe blanche ce dont ils parlent depuis le début du repas.
Cousin Raoul a eu, lui, la délicatesse d’aller jusqu’au perron de la salle à manger pour y déverser une pleine platée de salade russe dans laquelle dominait la betterave. En ce temps-là, on savait vivre.
Un soir que la faim le titillait, Julien a quitté son fauteuil-bière-télé et s’est approché de son épouse qui cuisinait, l’a prise tendrement par la taille et par-dessus son épaule, a jeté un coup d’œil sur ce qui mijotait dans la tite mormite. Il a semblé surpris, jusqu’à relâcher un peu son étreinte. Le compliment n’a pas tardé :
— C’est quoué ce vomi de chien-là ?
La réplique n’a pas tardé non plus, assaisonnée d’une pincée d’agacement, d’un zeste de mauvaise humeur et d’un soupçon d’énervement, à deux pas du hachoir à viande et du gros calou :
— C’est du vomi de chien !
Julien en a repris deux fois en répétant piteusement l’est bien bon, pour tenter de se faire pardonner, mais cette nuit-là, il a quand même dormi sur le cric.
Bon, passons vraiment à autre chose et tant pis pour Julien. Il apprendra à réfléchir un peu, ou à faire lui-même la cuisine, ou les deux.
- Fin du chapitre -
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Rien à voir avec la forme d’un nez, sauf peut-être si ça se rapproche de l’expression avoir un nez sur sa figure, qui signifie qu’on a sa dignité.
Le mot n’est plus guère employé que par les très anciens, lorsqu’en public ils ont commis un impair, une bourde, une bévue et que le rouge leur monte au front.
Moin l’a gaingne la honte ! Moin l’a resse camus !
À ce moment-là, pour se rattraper aux branches, pour minimiser et faire oublier l’incident, ils disent la première phrase qui leur vient à l’esprit et qui n’est pas forcément appropriée. Ce qui souvent renforce encore la camuserie, alors ils bégaient une autre phrase, et ainsi de suite, jusqu’à la fuite salvatrice, parce que ce serait trop long de rentrer sous terre.
Ça s’appelle tirer sa camuserie.
- Fin du chapitre -
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