Yabécédaire

Yabécédaire

Editeur : UDIR

Auteur : Jean-Louis PAYET

ISBN : 978-2-87863-102-9

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Mis en ligne par Lectivia
Dernière mise à jour 11/10/2024
Temps estimé de lecture 3 minutes
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Français Inclassable Créole Débutant(e)
Yabécédaire

46. Moi je sais, puisque je suis institutrice

Monsieur et madame ont passé la journée chez leurs enfants à Le-Tang-Salé-les-Bains. En attendant le dîner, toute la famille se retrouve sur la plage à quelques pas de la maison pour admirer le soleil couchant. Marie-Paule, qui ne supporte pas de perdre son temps, a apporté ses aiguilles à tricoter et le cache-cœur qu’elle doit terminer avant l’anniversaire de son amie et collègue. Du haut de sa chaise de plage, et de sa voix d’amontreuse du haut de son pupitre, elle écrase l’auditoire de toute sa supériorité de maîtresse d’école ; elle relate par le menu les aventures de tous les personnages de tous les feuilletons-télé qu’elle a gobés goulûment durant la semaine. Heureusement que les autres s’en moquent parce que même le scénariste ne reconnaîtrait pas sa création si c’est Marie-Paule qui raconte.

Quand, il y a de cela bien longtemps, elle est parvenue à devenir institutrice, elle s’est sentie instantanément auréolée de tout le savoir du monde, nimbée de science infuse et le front ceint de palmes académiques, encouragée en ce sens par sa mère qui répétait à l’envi que si on ne savait pas, il fallait s’adresser à Marie-Paule, quel que soit le sujet, même en chinois, elle vous donnera la bonne réponse, puisqu’elle est essitutrice. Elle s’est alors empressée de s’entourer de tous les attributs de sa profession : un air condescendant, un mari non-fonctionnaire, une baguette de bambou, une règle en fer, une Peugeot 403 et une sœur quasi-analphabète pour s’occuper du ménage et des enfants à venir.

Chez ses collègues masculins, à part l’auto et la maîtresse (pas celle d’école), le plus gros de la panoplie se devait d’être en or : lunettes, stylo, montre, gourmette, épingle de cravate et au moins une dent, au besoin en se faisant arracher une canine saine. On pouvait se passer du jaseran, qui ne se voit que dans des circonstances particulières.

Revenons sur la plage, où ce soir-là donc, le soleil fait aux gens normaux l’ineffable cadeau de toute sa magnificence et Marie-Paule râle parce qu’elle ne distingue plus sa rangée, bécalu !

Bécalu est avec tabouret, le juron le plus soft de la langue créole.

Son mari, qui n’est pas instituteur, profite d’une accalmie dans la logorrhée conjugale pour faire part, avec une émotion à peine contenue, de son émerveillement et de son humilité devant ce spectacle féerique, toujours renouvelé et pourtant jamais semblable, qui depuis l’aube de l’humanité, jette comme un voile somptueux devant l’éternité, et puis cet insondable mystère…

Marie-Paule, en épouse raisonnable, le stoppe net dans ses élucubrations :


Ah vouzote,

ça d’là y fait des vers,

en plein air,

dans la touffe galabert…


Dans sa poésie-moucatage, elle cherche en vain d’autres rimes en air.

Se taire, peut-être ?


- Fin du chapitre - 


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Yabécédaire
34. Gagner

Chez nous, tout le monde gagne, même ceux qui ne jouent pas, et ce qu’on gagne n’est pas forcément bon à prendre. La diarrhée, par exemple, eh bien, si vous étiez là, à table avec moi pour écouter Josiane en parler quand ça lui a pris dans l’avion, vous auriez, comme moi, compris que pour elle c’était comme un cadeau que lui faisait le ciel afin qu’elle puisse avoir au moins un sujet de conversation dans la vie. Les autres épisodes de son voyage, en comparaison, c’était juste bon pour les cabinets.

Le corps enseignant s’évertue, depuis le primaire, à montrer que ce créolisme, si joli soit-il, ne peut pas s’employer sans guillemets dans un devoir de français et qu’il vaut mieux dire : Je n’y arrive pas. Je n’ai pas réussi.

— Monsieur, j’essaye, mais je gagne pas !

Donc, nous on gagne un travail pour gagner d’acheter l’auto qu’on gagne amener en faisant entention de ne pas gagner un tamponnage, sinon il faut gagner de payer les réparations et emparer l’engueulade qu’on gagne à la case, sans compter qu’on risque de gagner la fièvre et l’élan pour pas gagne ain’ baisement, ou gagne zéclis, comme quand on reste trop près d’une bagarre ou qu’on se mêle de ce qui ne nous regarde pas.

Autant d’expressions qui sont belles lorsqu’elles sont précédées du sujet mi, et un peu étranges, voire cocasses, précédées de je.

— Otoi, j’ai ri, j’ai ri, j’ai pas gagne arrêter. Je voulais chapper pour pas faire voir, mais j’ai pas gagné, alors ils m’ont regardé en travers et j’ai gagné tellement la honte que j’ai plus gagné sommeil.

Un dernier conseil à ce sujet : faites comme moi, au lieu de dire je ne gagne pas faire, essayez plutôt je vienpabou. C’est un raccourci de je n’en viens pas à bout, qui est la forme négative de je vienbou, tu vienbou, et ça c’est classe !

On vous complimentera et vous gagnerez à être connu.


- Fin du chapitre - 


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Yabécédaire
33. Casse ti doigt

Formule employée dans les cours de récréation 

pour le début d’une brouille.


Les fâcheries, à Pont-Les-Hauts, ailleurs, je ne sais pas, les fâcheries, donc, sont une entreprise très sérieuse qui demande de la part des acteurs et figurants un grand sens de l’inobservation, un fer-blanc de mauvaise foi, une oreille inattentive et une langue qui bat bien, une mine de rien, une lorgnette avec un petit bout de chaque côté pour regarder dedans, un crachat pour s’y noyer, une joue de fesse à gratter et l’autre qui démange, l’art de la question innocente, le plaisir de voir patauger les autres dans des matières indicibles et la faculté de se prendre très au sérieux en proférant une de ces phrases :

— Mi aime pas les commérages !

— Moin l’est pas fâché(e) avec personne !

— Mi dis à vous, mais elle l’a dit à moin dis pas personne, alorsse répète pas !

— Hein, y rogarde pas moin mais…

— Quoi elle l’a dit à vous ? Quand ?

— Bondieu y punit a moin ! C’est la franche vérité ; mi mentis pas ec vous.


Toutes ces qualités ne servent à rien si on n’a pas la capacité, l’art et la maîtrise du ladilafé qui prend le nom de calomnie sous la plume de Beaumarchais :


« D’abord un bruit léger rasant le sol, comme l’hirondelle avant l’orage, pianissimo, murmure et file et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille et, piano, piano, vous le glisse en l’oreille adroitement ; le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine... »


Les bonnes amies se sont réunies cet après-midi-là chez Marie-Rose, qui tient à montrer sa nouvelle cuisine en véritable formica-bagapan et pur skaï, pour laquelle elle a cédé à bas prix à un couillon de zoreil tous les meubles en tamarin et ti-natte qu’elle a hérités de ses parents.

Antoinette est là, malgré son aversion pour ses compatriotes de Pont-Les-Hauts qui font trop de commérages, ben non, et c’est pourquoi elle a préféré s’installer dans un quartier de Saint-Léon où règne une harmonie presque totale, puisque personne ne fréquente personne, sauf pour s’insulter mutuellement.

Notre hôtesse a fait ses emplettes chez le Chinois le matin même et acheté une pleine tente de sodas aux couleurs étranges et des gâteaux sous triple emballage, parce qu’il n’est pas question de servir à des invités des préparations aussi vulgaires que le gâteau de patates et l’eau sucrée de citron-galet qui ne peuvent être consommés qu’en cachette, dès lors que votre rang social vous permet de vous payer le formica.

Voilà les six amies réunies dans la cuisine formiquée ; elles osent à peine s’asseoir et s’extasient devant tant de bon goût dans le choix et l’agencement de ces meubles exceptionnels. Cela n’a pas été sans mal pour Marie-Rose qui a tellement hésité pour les couleurs, qu’elle a fini par se décider pour du bleu, du bariolé, du blanc, du violet et Ooh ! Ben non, y faut mi prend le vert aussi ! L’est trop joli !

Après les civilités habituelles et le cassage de tites boutures qu’on n’a pas dans son jardin, on entre dans le vif du sujet, ce pourquoi vraiment on se réunit aujourd’hui, c’est quoi de neuf à Pont-Les-Hauts ? Et d’abord, pourquoi Annie n’a-t-elle pas pu venir ?

— L’a pas pu ou l’a pas voulu ? Ça s’peut nous l’est trop bas pou elle coméla !

— Y rossemb’ à elle juchqu’à !

— L’est pas mon genre de casser d’suc, mais y étonne pas moin : depuis qu’elle na sa case en dur, elle l’est fierte.

— Mi aime pas malparler, mais mi préfère pas dire comment elle l’a fait pou acheter ain’ case comme ça.

— Pas besoin, mafi, tout le monde y connaît.

Rires.

Même si apparemment tout le monde est au courant, toutes jugent absolument nécessaire de justifier leurs dires par des anecdotes plus juteuses les unes que les autres avec à l’appui des moues, des sourires entendus, des battements de paupières et des gestes éloquents lorsque les mots paraissent trop crus.

Je dois préciser que tout cela se passait dans des temps très anciens, c’est-à-dire environ deux décennies après la décolonisation officielle de notre île, et que de nos jours plus personne, dans les Hauts ou sur la côte n’engage ni n’alimente de pareilles conversations, même dans une cuisine contemporaine en composite et leds.

Et le soir tombe doucement sur le formica multicolore et la belle entente des personnes assises dessus. Antoinette sursaute en regardant l’heure au réveil mural où Mickey et Pluto n’arrêtent pas de se saluer.

— Mi savais pas que l’était tard comme ça ; y faut mi sava, sans ça mi manque mon car.

Elle se lève, malgré les amicales protestations : L’est oncore d’bonne heure ! Vous n’a pu d’ti zenfants pou songner ! Elle promet de revenir dès que possible parce qu’elles n’ont pas eu le temps de tout se dire. Marie-Rose l’accompagne jusqu’au baro, insiste pour qu’elle emporte une main de figues blanches pou les marmailles, puis la laisse s’éloigner, sa soubique à la main, et revient vers sa cuisine où ses amies l’attendent avec un léger sourire et des regards en missouque.

Marie-Rose se dirige vers la fenêtre, écarte un peu le rideau vichy rose, tortille son collet pour s’assurer que sa visiteuse est partie et se cale confortablement sur la chaise verte en préparant bien sa bouche, parce que, là, là, elles en ont pour un bon bout de temps à disséquer le comportement d’une certaine personne, mi dira pas qui mais elle y vient de portir, et c’est pas le fénoir ni la préparation du dîner qui les feront renoncer.

Commençons par son linge, non mais zot l’a vu ? C’est ça la mode à Saint-Léon ? On dirait ain’ baba d’figue et vi trouve pas, vous, qu’elle y fait la pionte ?

— Semanqué elle y croit qu’elle l’est jolie ec son fard qui dépasse et sa permanente !

Depuis qu’elle y resse en ville, elle y prend à elle pou tout d’bon !

Le nuage verdâtre de la médisance semble flotter au-dessus de la case de Marie-Rose, tandis qu’Antoinette prend la direction de la rue de la boutique où se trouve l’arrêt de car, mais elle oblique à droite par la rue Voireau et s’arrête devant la jolie case en béton toute neuve d’Annie, son amie de toujours, chez qui elle a prévu de passer la nuit.

Elle pousse le baro et avant même de faire la bise à son amie venue à sa rencontre, ma fi, elle commence à déballer une partie de son sac à commérages jubilatoires qu’elle trimballe depuis le matin.

Non, depuis toujours.


- Fin du chapitre - 


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Yabécédaire
32. Fâcheries

C’est très grave en tous cas !

Astérix en Corse


Les deux vieilles à capeline se sont arrêtées en haut des marches qui mènent au cimetière, dans leur fauteuil roulant poussé par un fils septuagénaire. Elles ne peuvent pas aller plus loin (pour l’instant) et adressent, depuis leur poste avancé, une prière chevrotante à leurs chers disparus. C’est un pur hasard si elles se retrouvent côte à côte en ce premier novembre ; elles se sont soigneusement évitées depuis l’année de leurs vingt ans, quand elles se sont fâchées à propos d’une histoire gravissime.

Elles étaient jusque-là les meilleures amies du monde, partageant l’insouciance et la misère de leur enfance autour de leur case fleurie, mais aussi sur les bancs de l’école qu’elles ont désertée à douze ans pour aider mamère à s’occuper de la « grappe » marmailles qui a déboulé d’une année à l’autre, malgré les conseils avisés du docteur Ogino.

On retrouve d’ailleurs dans les deux familles comme un hommage-foutant au médecin japonais avec des prénoms comme Gino, Gina, Ginette, Régine.

Plus de sept décennies à ressasser, chacune dans son coin, l’offense qui lui a été faite et que toutes les messes, toutes les neuvaines, tous les chapelets du monde catholique-apostolique ne sauraient effacer.

— Après tout ça que moin l’a fait pou elle ! Voilà comment elle y dit merci !

On ne saura rien de la nature des bienfaits ni des offenses qui semblent être à sens unique ; tout ce qu’on peut dire, c’est que le pardon n’est pas de mise après pareille infamie. Ni le pardon ni l’oubli.

Aïda a tourné la tête à droite et a reconnu le profil de son ennemie ; une lueur éclaire son pauvre visage ridé, elle avance doucement sa main tremblotante et la pose tendrement sur le bras fripé de Nine qui ne se retourne pas ; elle continue de fixer la grande croix blanche sur fond de ciel bleu, et des larmes roulent sur ses joues.

— Aïda ma fi, dit-elle dans un sanglot, quoi l’arrive à nous tout ce temps-là ?


- Fin du chapitre - 


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Yabécédaire
31. Sérénade

Parle plus bas, car on pourrait bien nous entendre.

Parrain


La communication, entre gens de Yaberie, requiert des cordes vocales grosses comme des gatures de chocas. On dit les choses ou on ne les dit pas. Bien sûr l’alcôve, comme partout, reste plus ou moins discrète, mais ailleurs on s’exprime, et parfois il n’est pas facile de discerner une conversation d’une altercation.

Plus fort que le stentor, nous avons le yab-stentor.

On communique, maintenant encore, comme au temps où les messages passaient d’un coteau à l’autre, même à travers le brouillard des Hauts, et couvraient des distances considérables, sans altération ou presque. C’était ça ou bien descendre dans le vallon, puis remonter sur l’autre coteau, délivrer son message comme au salon, et enfin refaire le chemin inverse. Donc, il valait mieux donner de la voix, et on donnait sans compter, en chantant un peu, comme tous les oiseaux des Hauts.

L’exode rural, dans les année soixante, a poussé pas mal de nos yabs vers le travail en ville et les blocs de béton tout neufs. Si beaucoup d’entre eux ont adopté le parler de la ville et même celui de France, il est resté quelques irréductibles dont la voix et l’intonation sont demeurées inchangées malgré leur nouveau cadre de vie.

En rentrant du travail, ils n’avaient à s’occuper ni du poulailler ni du jardin ; ils avaient donc du temps devant eux et, pour éviter à tout prix l’oisiveté, ils n’ont pas mis longtemps à repérer l’établissement le plus important du quartier : la boutique et sa buvette. Les autochtones avaient un drôle de langage, mais avec le temps, un peu de bonne volonté, le même goût pour les boissons d’homme (dixit Audiard) et le cassage l’écui, les nouveaux arrivants ont fini par faire partie du paysage.

Madame au foyer profitait de toutes les nouveautés que lui offrait la grande ville : le béton, la chaleur, le bruit, la promiscuité mais quel bonheur pour elle, de retour à Pont-Les-Hauts un dimanche, dans leur nouvelle Ami-6, de raconter par le menu à ses amies le Prisunic, le Barachois, les cinémas où elle ira bientôt, les boutiques-zarabes, la cuisine au gaz, la bénoire pou baingner, le cabinet d’l’eau, le frigidaire, cette chose absolument délicieuse qu’on appelle myaourt, la télévision qu’ils veillaient parfois le soir dans la vitrine de Dardar où il y avait aussi des machines à laver et tant d’autres merveilles qu’on ne pourrait trouver, c’est sûr, ailleurs qu’à Saint-Urbain.

Il fallait bien, comme partout, assurer les repas quotidiens de la famille et, à part les légumes du grand marché et les brèdes cueillies à Pont-Les-Hauts le dimanche, l’approvisionnement se faisait toujours à la boutique chinois. Celle où se rendait madame, à deux cents mètres de leur immeuble, avait la même enseigne que la buvette de monsieur.

C’est là qu’elle vient le chercher ce soir, lasse d’attendre son retour avec la tente de commissions pour le dîner. Il avait dit : Mi arviens tout de suite, mais une chose en entraînant une autre, un petit verre poussant l’autre et de bons camarades lui enseignant la vraie place du bonhomme dans la maisonnée, monsieur a beaucoup réfléchi et peu, voire pas du tout, rempli la tente.

Devant ses dalons consternés, sans pouvoir placer un seul mot, il gagne donc un mâchage-graines en bonne et due forme, et l’ordre qui ne souffre aucune réplique de rapporter à la case toutes les commissions dans le quart d’heure qui suit. En guêpe, elle tourne les talons de ses savates-doigts-de-pieds et le compte à rebours commence.

Après un moment de flottement, les dalons outrés et presque droits entourent monsieur et lui prodiguent les conseils les plus judicieux sur la conduite à tenir après un pareil désastre, sinon si on laisse passer ce déplorable incident sans réagir fortement, c’en est fini de l’équilibre de la société.

Monsieur bombe le torse et commence à détailler son programme. Chaque résolution forte qu’il prend est aussitôt suivie d’une ovation et d’un coup de sec et c’est en mari responsable, en vrai bonhomme qui porte la culotte kaki, qu’il se plante tant bien que mal sur le trottoir, lève les yeux vers le troisième étage de son immeuble du bout de la rue et, comme dans son jeune temps sur les collines de Timimile, se lance dans une tirade dont profite tout le quartier et dont les plus anciens se souviennent avec émotion aujourd’hui encore.

— L’est pas pou la conséquence ain’live morue ec trois zoignons, mais respec à moin souplait, et respec mes camarades. Comme Bon Dieu l’a dit, la fanme y doit soumette, et mi proviens à ou, si quand mi rente la case, le manger l’est pas paré, ben mi sava dormir sans, et compte pas dessus moin non plus pou ça à soir.

Joignant le geste à la parole, il fait coulisser son index droit dans le cercle de son pouce-index gauche.

Puis il ajoute, impitoyable :

— Vi peux pleurer, vous n’aura point et tout le monde y connaît que vi aime ça.

La colère et Bacchus l’ont poussé dans l’exagération : tout le monde n’était pas forcément au courant, mais maintenant…

C’était juste avant qu’ils ne déménagent de la cité Debrel, dans le quartier du Poêlon pour aller rester du côté de Grandgaillard où on le surnommait l’haut-parleur.

La boutique-buvette était carrément en bas de l’immeuble.

Notre ami a su mettre, in extremis, une sourdine à son puissant organe puisque sur son lit de mort, il a poussé un dernier soupir, et non un dernier grand cri.

Écoutez l’oraison funèbre de son fidèle camarade de comptoir :

— Ben, en raison, lu l’a pas fait trop d’désordre quand lu l’a casse la moque !


- Fin du chapitre - 


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Yabécédaire
30. Discrétion

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.

« L’invitation au voyage », Charles Baudelaire


Lorsque le visiteur arrive au bout de l’impasse Zoignons-Cheval, il se rend bien compte que la case était jolie avant que les locataires ne l’agrandissent en y ajoutant une tite pièce pour tous les jours, une cuisine-feu-de-bois, un poulailler, une clôture et la niche du chien, le tout fagoté sur le même modèle.

Il n’est pas content, le chien, comme tout animal normalement constitué, contraint de vivre dans un bric-à-brac. Alors en longueur de journée, il aboie et tire sur sa chaîne trop courte. Il se tient sur ses pattes arrière et son collier de corde l’étrangle, puis il retombe et enchaîne cinq S.O.S. assourdissants qui ont un effet immédiat sur le maître des lieux. Ce dernier lui balance le plus bel galet qu’il trouve, ainsi qu’une bordée de jurons qu’on entend à peine parce que le posse radio aboie encore plus fort. Il ne manque qu’un décibel pour qu’il implose.

Victorine s’avance sur le pas-de-porte, un balai de datte à la main et d’une voix qui n’existe pas encore dans le forte s’informe sur le comment du pourquoi, tandis que le chien aboie de plus belle et évite de justesse le deuxième galet mais pas les jurons, ce tochomomon.

Gabin hurle à sa femme qu’il y a de la visite. Elle semble comprendre, malgré la cacophonie du poulailler en émoi qui baissera à peine le ton après la promesse de Gabin de manger ce soir même un cari de commères.

— Rente ain’ peu, nous va assir !

L’invitation est faite en bon créole des Hauts, mais je crois entendre un ordre des Waffen SS. Donc, je m’exécute et me pose du bout des fesses, l’œil aux aguets, sur une chaise de la salle à manger. Chacun continue sa vie comme avant, à part un léger crescendo dans la voix du chien, de la radio, des coqs, de leurs compagnes et de mes hôtes.

Je vais exposer le but de ma visite lorsqu’une horde de trois petits Sioux des Hauts surgit dans le tipi en jouant l’attaque du car courant d’air. En guise de pemmican, ils reçoivent chacun une taloche bien de chez nous et déguerpissent en pleurant fort sous les conseils gueulés par leurs parents, qu’ils aillent apprendre les bonnes manières, bande ti macros.

Victorine est originaire de Pont-Les-Hauts : la bande ça que tout le monde y appelle Gosier et qui restait côté Trou-Mascade. Après des années passées à Saint-Léon où Gabin travaillait comme manutentionnaire, elle a tout fait pour revenir vivre dans son village, parce que la vie en ville était devenue vraiment insupportable. Trop bruyante.

— N’a trop d’désordre !

J’ai oublié pourquoi j’étais venu.



- Fin du chapitre - 


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Yabécédaire
29. Shopping

Mo content toi vini, mo pli content toi allé.

Un Mauricien pas content justement


Ce savoir-faire, ce talent, Yolande ne le garde pas égoïstement, elle le partage et l’exporte même au moins pour l’instant jusqu’à l’île-sœur où elle se rend régulièrement pour quelques jours de détente dans l’année, en compagnie d’une de ses cousines qui a comme elle la phobie de l’avion, des courses-que-le-mond’-l’est-sauvage, ne supporte pas la plage et son sable, le beau temps, le mauvais temps, le dîner que l’est pas pareil, les randonnées, le bateau tatamaran, le farniente, les touristes, surtout créoles réyonnais qui causent fort. Cependant, elles ne rateraient pour rien au monde ce rendez-vous annuel avec certains commerçants de Curepipe qui commencent un peu à les connaître et à insister auprès de leurs amis taxis et bus pour qu’ils ne les ramènent plus jamais dans leur boutique, et tant pis pour le pourcentage.

Elles se font belles dès le grand matin dans leur chambre d’hôtel entièrement louée par l’A.A.A., Association Altipontoise des Anciens et se chargent de tant de bijoux et colifichets qu’on se demande où elles pourraient bien encore accrocher leurs emplettes d’aujourd’hui.

Vous n’êtes pas obligés de répondre.

Ce commerçant-là ne connaît pas encore Yolande et il lui déroule le tapis rouge qu’elle s’empresse de fouler en prenant tout son temps et celui de deux employées qu’elle et sa cousine ont gardées en exclusivité absolue, presque en otage, durant la matinée entière.

La stratégie est la suivante : commencer par le troisième et dernier étage, faire étaler le maximum de pièces de tissus, palper, soupeser, estimer, marchander, comparer, refaire descendre la pièce qu’on vient de ranger parce qu’elles n’ont pas bien vu, puis finalement dire, non, y trouve pareil à La Rénion.

Voyons les robes au deuxième étage : chacune a dû essayer ce jour-là plus de vêtements qu’elles ne pourront en prêt-à-porter de toute leur vie. Les cabines d’essayage chauffent et les vendeuses replient et rangent sans cesse sinon elles risquent de disparaître sous la montagne de pièces défaites comme leur mine, aux alentours de onze heures.

Yolande ne manque pas d’asséner son coup favori : l’essayage de la robe que porte le mannequin en vitrine. La vendeuse venue en renfort défait donc les mille épingles et tend la robe à sa cliente qui, dix minutes plus tard, ressort de la cabine en s’étonnant que à cause sur elle l’est pas pareil ? L’est trop serré on dirait.

On ne dirait pas, on dit.

Pendant ce temps, les autres membres du club Altipontois se sont aussi éparpillés dans tous les étages du magasin semant la désolation sur leur passage et ne laissant que quelques roupies dans les caisses. Les rares maris qui ont fait le déplacement se sont déjà retranchés dans le bus au bout de dix minutes et regardent leur montre en bâillant.

— Vous n’aurait ça d’là, mais en vert et en cinquante-six ?

— Refais voir à moin le pantalon à fleurs.

Donc, pas d’achat de tissus ni de vêtements mais les bijoux ont l’air très bien, ce serait tellement dommage de ne pas y consacrer une heure ou deux. Leurs yeux brillent autant que la verroterie qu’on fait défiler devant elles par plaquettes entières, mais il s’agit de se dépêcher un peu, c’est qu’il est midi passé et on aura tout juste le temps de ne pas s’acheter de parfum ni de sous-vêtements avant le repas. De même, on laissera tomber les balais et autres serpillières dont on n’a peut-être pas absolument besoin.

Le commerçant est sauvé par le gong et l’appétit de nos Altipontois en goguette, mais dans la communauté des chauffeurs de taxis et de bus, on dit que depuis, chaque matin, à l’arrivée d’un véhicule bondé, il est pris de tremblements incoercibles jusqu’à ce qu’il se soit bien assuré que ni Yolande ni sa cousine ne se trouvent à bord.

Vous connaissez le rêve absolu de Yolande, son Saint-Graal ? Ce serait d’aller à Doubaille, là-bas en France, dont on lui a tant parlé pour le nombre et la qualité de ses boutiques alignées à perte de vue.

— Si Bon Dieu y pisse su ma tête ! soupire-t-elle.

Parce qu’Il Est Infiniment Lui-même, Il ne s’est pas offusqué de la formule, on dirait, mais Il n’a pas permis jusqu’à présent à notre passionnée d’aller perturber la tranquillité des commerçants dubaïotes.


- Fin du chapitre - 


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Yabécédaire
28. Les courses, oui, mais pas la course

Mieux vaut lentement et bien que vite et mal.

Proverbe malgache


Quand Yolande s’en va faire ses courses chez Mambo Store, à Saint-Léon, il lui faut déjà une bonne demi-journée pour se préparer. Se doucher et s’habiller, ça ne prend guère plus de deux heures mais il faut qu’elle épluche un par un tous les prospectus qui gonflent sa boite aux lettres afin de s’assurer des dernières promotions, qu’elle réunisse tous les bons de réduction glanés durant le mois, qu’elle se munisse de toutes ses cartes de toutes les couleurs qui lui donnent droit à quelques centimes sur son chariot qui déborde, mais surtout, il lui faut maintenant trouver un chauffeur-accompagnateur, vu qu’elle a déjà mis à mal la patience et la bonne volonté de ses parents et amis.

Le miracle, c’est qu’elle arrive encore à trouver des inconscients. Nous voilà donc en route.

Elle entre chez Mambo comme on entre dans un temple, elle est transfigurée, les néons lui font comme une auréole, tout ça est si beau. Sa liste à la main, elle se dirige aussitôt vers la première gondole et se saisit du premier article qui lui tombe sous la main, elle le soupèse, le retourne, et en consommatrice responsable, elle en lit intégralement les six faces puis le repose pour crocheter celui d’à côté, simplement parce qu’il n’est pas bleu et que ça l’intrigue.

Il ne lui faut pas une heure pour s’assurer que là, elle n’a besoin de rien et la voilà déjà à la gondole suivante avec son chariot vide. Elle y avait placé un paquet de biscuits Lulu, mais l’avait remis en rayon parce que chez Vrack, on dirait po moin que l’est moins cher, quand elle ira.

À cet instant, l’accompagnateur se rend compte du piège dans lequel il est tombé et subodore la tournure que vont prendre les événements. Il s’en va respirer profondément sur le muret face à l’océan Indien.


« La mer est ton miroir, tu contemples ton âme

dans le déroulement infini de sa lame,

et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer. »


Baudelaire a sûrement attendu, lui aussi, quelqu’un du genre de Yolande qui faisait ses courses chez Mambo.

À propos d’amertume, Yolande doit être aux caisses maintenant. Eh bien non, après le rayon lingerie, elle s’est laissé tenter par la poissonnerie alors qu’elle déteste le poisson, mais comme c’est en promo, autant jeter un coup d’œil, le temps de faire poireauter trois vrais clients, mais finalement une boite de thon fera l’affaire à condition de bien choisir. Le chariot se remplit petit à petit et le soir descend quand les pas hésitants de Yolande la rapprochent de la sortie, mais il lui reste comme le sentiment d’oublier quelque chose et, par acquit de conscience, elle refait un tour complet du magasin avant de prendre place dans la file la moins « chargée ».

— Quoi tout ce monde y fait là ? Y gagne pas resse zot case ?

Comme par un effet de miroirs, chaque caisse semble accueillir sa Yolande et c’est enfin son tour.

Elle pose ses articles sur le tapis, un par un et par catégorie, en vérifiant bien et en cochant mentalement sur sa liste, puis elle passe côté réception des marchandises, sans les ranger tout de suite dans le chariot, parce qu’elle attend de voir les prix. La caissière lui tend le précieux parchemin et Yolande « épluche », pointe, recompte, réclame une promo qui n’apparaît pas alors que, rogarde, hein, l’est marqué là-dessus.

La moitié de la queue s’est répartie dans les files d’à côté et la caissière triture ses cheveux frisés en regardant le plafond. On finit par tomber d’accord et Yolande commence son rangement, pousse un peu le chariot tout en gardant un œil dessus, pangard ain’ y part avec ; elle entreprend d’ouvrir son sac à main, d’en extraire son chéquier, de chercher son estylo, de refuser celui que lui tend la caissière, hein hein mi profère la miain’, de redemander combien y fait, hein, combien ? à cause ? de remplir et signer son chèque avant de replonger dans son sac à main pour chercher sa pièce d’identité et y trouver en même temps la carte bariolée spéciale magasin qui lui donne droit à un euro trente de réduction. Elle finit, après d’âpres discussions, par accepter l’avoir que lui propose la caissière qui pleure.

— À cause ça d’là y pleure ? Et pou mon lavoir, mi peux revenir quand ?

La caissière étouffe un sanglot et la regarde sans répondre.

Ils seront les derniers à quitter le parking, car il y a un ordre particulier de rangement des achats dans le coffre et cela doit se faire posément, sans précipitation, ‘tontion toute y maille en montant.

— Non mais, vous l’a vu comment le monde l’est sauvage ! s’indigne Yolande. Y faut la foi et la charité pou faire ses courses coméla !

Elle a oublié l’espérance d’avoir un autre chauffeur-accompagnateur.


- Fin du chapitre - 


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Yabécédaire
27. Démerde à zot'

Donne chemin, monsieur le maire, 

mais touche pas rien chez moin !

Césaire and Co


L’habitation où travaille Césaire est un héritage paternel de quelques trois cents gaulettes desservies par le chemin Sapotes. Trois propriétés sont enclavées à l’arrière, depuis que Césaire a décidé que le droit de passage accordé par défunt son père n’avait plus cours, démerde à zot’, malgré l’insistance et les procédures diverses engagées depuis bientôt dix ans auprès des instances municipales par les trois propriétaires. Son idée, c’est de laisser pourrir la situation jusqu’à ce qu’on lui cède à bas prix les terres en question, qui agrandiraient du double son habitation. Il aime à répéter, comme tous ceux qui lorgnent sur votre parcelle, que la terre, ça vi emmène pas avec vous là-haut ça, en contraire, c’est elle qui emmène à vous en bas.

L’affermage de l’eau, avant que les multinationales ne s’en mêlent pour la fourguer au prix du champagne sabré par leurs actionnaires, était du ressort de la commune. Elle mettait à la disposition de ses administrés quelques robinets publics dans les différents quartiers et, sur celui du quartier où habitait Césaire, il y avait, branché en permanence, un tuyau-caroutchou qui serpentait jusqu’à sa case. Pendant deux décennies, lui et sa famille ont profité gratuitement de cette eau, alors que tous ses voisins avaient déjà fait installer chez eux un compteur. D’où la grogne des dits voisins qui se sont plaints à monsieur le maire, qui a fait enlever le robinet, a reçu depuis des bordées d’injures dont la plus tendre est macro, et a perdu à jamais les votes de tous les membres adultes présents et à venir de la famille Césaire. 

Revenons aux trois propriétaires enclavés.

On ne se tape pas la tête contre un mur, on le contourne. C’est ce qu’ils ont fait en s’adressant au nouveau voisin d’en bas qui a accepté de leur laisser un passage de trois mètres de large jusqu’à leur terrain, à gérer avec leur notaire et la commune qui a pris en charge la voirie, le mur de soutènement et la clôture.

Ce qui n’a pas été sans quelques difficultés, car Césaire, dès le début des travaux, s’est ingénié à multiplier les embûches, à râler pour trois centimètres de bornes, à bloquer sa camionnette devant la tractopelle, à tenter de corrompre le chauffeur avec quelques bringelles et un régime-figues valri pour qu’il sabote un peu le travail ; à exiger qu’on clôture aussi son terrain, car il n’est pas plus mais il n’est pas moins ; à plomber de ses doléances les services municipaux macros.

Finalement, nos trois amis ont pu un jour arriver à pied d’œuvre pour défricher et remettre en valeur leur bout de terrain, avec en ligne de mire le cul de Césaire qui cherche encore tous les jours un nouveau coup à faire pour se venger de tant d’ingratitude, car sa devise, c’est « démerde à ou ! », mais aussi et pour rester dans le même registre son corollaire « fais pas ch... ! »


- Fin du chapitre - 


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Yabécédaire
26. Après moi, je vous en prie !

Il n’est point contraire à la raison de préférer la destruction du monde à l’égratignure de mon doigt.

David Hume


Césaire a obtenu son permis de conduire au bout de la cinquième tentative et aujourd’hui, soixante ans plus tard, il n’a toujours pas passé la quatrième vitesse. Dans son jeune temps, les voitures étaient si rares, même en ville de Saint-Léon, que pour s’entraîner aux créneaux, on disposait deux bacs en tôle le long du caniveau et on essayait de se garer entre, sans rien renverser, de préférence.

Césaire, qui n’a jamais obtenu aucun diplôme, se vantait toujours d’avoir eu ses deux bacs. En effet, il les emboutissait avec une telle constance que, de guerre lasse, monsieur l’examinateur lui a accordé un beau jour le sésame, après avoir demandé pardon à Saint-Christophe. Depuis, les autres usagers de la route sont parvenus à éviter Césaire, car sa technique se distingue de très loin : il roule au milieu de la chaussée, pas vite, traînant après lui un cortège de gens normalement pressés et lorsqu’il doit croiser quelqu’un, il ralentit encore, car il en est capable, et il se range un peu à droite de la gauche pour laisser passer l’audacieux qui selon lui l’est risquab’ bourre au fond, bien fait pou lu !

Lorsqu’il rencontre un camarade, dans la rue de la boutique, il néglige les places de parking qui lui sont ouvertes de chaque côté et, coude à la portière, entame une discussion d’une importance capitale sur la culture des brèdes-mafane, que la vingtaine de malappris gros-cœur qui l’escortent, essaient au bout de cinq minutes de saboter avec leurs klaxons :

— Le chemin c’t’ à tout le monde ! plaide Césaire.

— Oui, mais là c’t’ à vous tout seul !

La réplique est constante, immédiate et tranquille : Démerde à zot’ !

Césaire a troqué, pour aujourd’hui, son antique camionnette 403 contre la R5 qui sert pour les courses de madame, et il prend la route (ce qui n’est pas qu’une expression, Césaire prend toujours la route) pour rendre visite à un ami qui tousse ses poumons de Bastos, au lieu-dit Le Trusquin.

Ce tournant à droite, sans visibilité, il l’a toujours négocié comme ça, passant confortablement deux roues de l’autre côté de la ligne continue, sans qu’il n’y ait jamais eu le moindre accroc, et voilà que Julot se pointe en montant sans prévenir au volant de sa Simca Mille. Le choc aurait pu être évité, comme celui, improbable de deux escargots dans un virage, mais à vingt-deux kilomètres par heure, les réflexes demandés aux deux chauffeurs sont restés dans leurs bottes trente ans en arrière, et chaque bolide inflige à l’autre une estafilade superficielle avant de s’immobiliser tête-bêche, bloquant ainsi les deux voies du seul accès à Pont-Les-Hauts.

Les chauffeurs descendent constater les dégâts minimes et Julot s’apprête à remonter en voiture pour dégager la route et établir un constat à l’amiable, mais Césaire ignore ce mot.

Amiable, c’est quoué ça oncore ? Non, non, on fait comme d’habitude : on appelle les gendarmes, et entre-temps on ne touche à rien surtout, tant que la loi l’est pas là.

— ‘Tontion hein !

On lui fait remarquer que les files d’attente se forment déjà dans les deux sens, il répond que démerde à zot’, ferme à clé, s’assure que c’est bien fermé, et prend à pieds nus la direction de chez Rosemay qui tient chez elle une annexe téléphonique. Il remonte ainsi, sans forcer le pas, dix, puis quinze voitures à l’arrêt, dont la dernière arrivée, la camionnette pilotée par le jeune et impétueux Jean-Lucien qui donne des coups d’accélérateur impatients, puis se décide à doubler toute la file pour voir ce qu’il se passe devant.

Il aurait vu, même sans aller si vite. Il débouche dans le virage en faisant crisser les pneus et, ne s’attendant pas à ce que les obstacles soient si proches, le voilà debout sur la pédale du frein, le voilà qui braque désespérément en tous sens, et le voilà qui percute l’arrière de la R5 et la propulse dans la cuvette où elle vient précisément s’encastrer dans les racines du pied de jacques. La camionnette de Jean-Lucien s’immobilise derrière comme un chien impudique, et sur ce qui reste de tôle intacte, on distingue un peu l’éraflure faite par la Simca Mille.

La voie descendante est maintenant libre. Julot, lui, n’a toujours pas osé bouger mais la circulation se fait de nouveau et quand les gendarmes arrivent, ils ont au moins le sentiment de n’être pas descendus pour rien. 

Césaire en a profité pour se fâcher avec tous les macros que l’a crase son auto. Il voue, aujourd’hui encore, une haine tenace aux descendants de Jean-Lucien, de Julot, des témoins, des gendarmes, et comme toute personne persuadée de son bon droit, il continue d’agir en tous lieux comme si la terre n’appartenait qu’à lui.

Il est loin d’en être à son coup d’essai.



- Fin du chapitre - 


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Yabécédaire
25. Bal lontan

Dance me to your beauty…

Leonard Cohen


Vous avez vu Sophia Loren danser le flamenco, sous les regards qui en disent long de Sinatra et de Cary Grant. Vous l’avez revue, la Sophia, dans sa robe rouge au décolleté incandescent, danser Mambo Italiano avec De Sica, pour rendre jaloux son soupirant.

Vous avez vu Gina Lollobrigida, sur le parvis de Notre-Dame, incarner une radieuse et envoûtante Esméralda qui danse, danse en robe rouge elle aussi. La même Gina, reine de Saba, après une danse païenne voluptueuse et torride, entraîne Yul, le roi Salomon près du ciel mais loin de son Dieu.

Vous avez vu Brigitte Bardot quand Dieu créa la femme dérider le placide Curd Jürgens avec ses jambes nues et son mambo cha-cha-cha. Et Rita Hayworth en noir et blanc, mais quel noir sur blanc, danser Gilda en faisant savamment glisser ses longs gants. Et Cyd Charisse, dans sa robe verte à franges, qui erotic dance avec Gene Kelly. Et Ginger Rogers quand Fred l’enlace pour danser avec elle en lui chantant Heaven, I’m in heaven. Vous avez vu la sublissime Ava Gardner, Comtesse aux pieds nus, lascive et magnifique, captiver la planète entière, et surtout moi.

Si vous avez vu tout ça, vous auriez aussi adoré voir danser Marcelle d’Andrée au salon de bal Chez Coco, à Pont-Les-Hauts.

Plantons le décor et remontons le temps jusqu’à mille neuf cent soixante-quatre. Dans la rue de la boutique, la boucherie-charcuterie est une case en bardeaux ; à l’arrière et un peu en contrebas, les propriétaires ont rajouté une sorte de hangar en bois et tôle ondulée qui ne paraît pas trop de travers, et dont le sol en béton brut semble presque plat. C’est le salon de bal où tous les samedis soir un orkesse entraîne jeunes et moins jeunes dans les tourbillons de la danse jusqu’à ce que dan’ poulailler n’a pu volaille.

Tandis que sur la petite estrade, les musiciens font leurs derniers réglages, les amateurs de danse s’attroupent devant le guichet d’entrée où nous apercevons une silhouette connue, qui en veut pour son argent et ne tient pas à rater une seule danse de toute la soirée. Marcelle, ce soir encore, l’a casse l’armoire, bien décidée à se trouver un fiancé, parce que, annonce-t-elle à la ronde, elle l’est fatiguée d’couve zœufs clairs.

Sa robe à volants, bleue avec des fleurs blanches, un peu ajustée, laisse plus que deviner ses formes généreuses et la marque de son slip, et son décolleté grandiose vient souligner la naissance des aréoles. Ses yeux brillent derrière la charge de rimmel, son rouge à lèvres déborde, son parfum n’est pas discret, et sa maman qui l’accompagne en tenant le phare, le paletot et le payaka semble si tellement fière de sa fille, qui n’est pas grosse, non-va, faut pas dire ça, simplement elle l’est en santé et son appétit y fait pleusir.

Elle est prête à en découdre, comme un boxeur sur le ring, elle trépigne et fait du regard le tour de la salle. Les samedis précédents, elle évaluait ainsi les cavaliers possibles et faisait souvent tapisserie, avouant avec un mélange d’amertume et d’incompréhension que si, à-soir, elle avait apporté son paquet de brèdes, elle aurait eu le temps de tout trier.

Mais ce soir elle n’attend qu’un seul homme, et quel homme ! Sylvain de Louloute avec qui elle a causé dans son caro de tomates mardi, en remontant des commissions et qui lui a promis de venir au bal, ce soir. Quel beau garçon ! Peut-être pas très grand, pas gros du tout, mais si tellement gentil et un peu timide, ce qui ne gâte rien. Mardi, tandis que Marcelle lui parlait, il était presque aussi rouge que ses tomates.

Le voilà qui fait son entrée, rouge cette fois comme ses souliers ; il porte un large paletot bleu dont les manches lui tombent sur les phalanges et un pantalon kaki. L’orkesse entame un cha-cha-cha : Pepito mi corazon, et que ce soit interprété par Los machucombos ou par Ze zerbes dur’s comme ce soir, personne ne peut résister, et surtout pas Marcelle qui fonce vers Sylvain en martelant le sol en cadence. Elle le cueille en passant et l’entraîne sur la piste où elle donne toute la mesure de sa passion.

Tout est mouvement, les jambes et le fessier, le buste qui roule en tous sens, en grand danger de sortir de son contexte, la tête frisottée, les bras qui décrivent de larges arabesques. Autour du couple se crée un no man’s land, car une claque est vite prise. Sylvain, les coudes collés au corps, sautille sur place, car il ne sait faire que ça, mais il sourit, il admire sa cavalière qui soutiendra le rythme jusqu’à la dernière note.

Vient la série des slows, les lumières s’éteignent sur la piste, Marcelle refuse l’invitation d’un pommadé prétentieux et cherche des yeux son cavalier qui arrive comme le slow, lentement, car comme il aime à le dire, il vaut mieux arriver en retard qu’arriver en corbillard ; elle l’enlace et ils dansent joue contre sein en se dirigeant imperceptiblement comme tous les autres vers le coin le plus sombre, qui est aussi le coin du cabinet et de ses effluves.

L’épreinte est proche de l’étreinte mais l’amour se moque de ces subtilités. Sylvain se hausse sur la pointe des pieds et ils s’embrassent fougueusement, à croire que dans cette zone, le bouche-à-bouche est vital, car tous les couples sont encastrés.

Les lumières se rallument et sans transition on passe au séga pour donner aux danseurs le temps d’apaiser leurs passions, d’accoutumer leurs yeux et que le cavalier ne ramène pas sa cavalière à sa maman à elle avec en son sud à lui une protubérance inopportune. Il y aurait comme une gêne.

Toute la soirée, on a dansé le twist et Marcelle martelait et Sylvain sautillait, idem pour la valse où quelques personnes sont tombées sous les assauts du couple qui occupait tout l’espace ; le calypso s’est effectué aussi sur le mode marteau-sautoir ; ni sirtaki ni madison n’ont posé de problème à nos amoureux, pas plus que toutes les autres danses, à part la danse atomique où le cavalier doit soulever sa cavalière et que l’inverse serait mal vu.

Non, vraiment, vous auriez dû voir Marcelle ce soir-là, Marcelle et Sylvain qui formaient un beau couple. N’écoutez pas les médisances de quelques jaloux qui, vu les difficultés de madame avec l’épilation de ses jambes, et vu le gabarit de monsieur, ont trouvé qu’il ressemblait à un caméléon dessus ain palmisse-zépines.

Après cette soirée de folie, les œufs que Sylvain lui a donné à couver, sans sautiller, n’étant pas des œufs clairs, elle s’est occupée de sa nouvelle famille sans plus penser au bal, sauf lors des mariages-famille où elle retrouvait un peu de la passion et de la folle énergie qu’elle avait déployées dans sa parade prénuptiale.


- Fin du chapitre - 


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Yabécédaire
24. Cyclone ou coup d’vent, quand y casse, l’est pareil.

Le superflu des riches devrait servir 

pour le nécessaire des pauvres.

Jean Domat


Monsieur Mario s’est choisi un coin près de la porte de la salle à manger, il a calé son fauteuil pliant contre le zarboutan et son vase (encore appelé pot de chambre) à côté. Il a son tabac à rouler, son litre d’eau, la bougie et les allumettes, il est prêt à affronter la nuit du cyclone. Lui et sa famille, c’est-à-dire sa femme et leurs six enfants, ont demandé à leur voisin, monsieur Louis, s’il aurait la bonté de les héberger jusqu’à la fin du gros temps, même s’il n’a pas voté pour le bon parti, même si monsieur Louis est troisième adjoint.

— Parce vi gnore pas que dans not’ case, le soufflage na plein de trous et la tôle y coule, alorsse nous l’a v’nu sauver chez vous ; la place y manque pas !

Bien sûr qu’il y a des trous puisque des fois, les grands couillons de fils, plutôt que de faire cinq cents mètres pour aller chercher du bois sec, trouvent plus intelligent d’arracher sur la case ain’ pongnée de bardeaux et d’aller jouer toupie après.

Mais monsieur Louis est un bon voisin, il a la case qui convient, l’habitude aussi ; il peut accueillir trois fois le voisinage en une seule saison cyclonique, sans que son moral soit pour autant affecté ; et même si sa femme n’arrête pas de lui répéter trop bon, trop couillon ! il lui sert sa réplique qui lui vaudra au moins un passe-droit dans l’au-delà, d’autant plus qu’elle est dite en français : Pour être bon, il faut l’être trop.

Saint-Pierre a sans doute déjà jugé.

Le bulletin météo n’ayant pas encore été inventé, l’arrivée du météore était lue par les anciens dans la couleur du ciel, l’air étouffant, et cette lointaine galaxie double dont ils savaient décrypter les signes, on se demande bien comment :

— Le Magellan l’est mal viré.

Les premières pluies commencent à tomber et les rafales de vent font siffler et se vriller les feuillages des arbres, les tôles mal fixées claquent et chacun s’affaire, un gouni sur la tête, à « garantir » ses animaux et le bois-feu, à cueillir les fruits verts qui de toute façon sont perdus, à calfeutrer les trous du soufflage et à fermer toutes les bascules.

Les enfants sont à la fête dans cette atmosphère inhabituelle où les parents ont d’autres soucis que d’être sur leur dos ; et puis, on dormira par terre, on pourra jouer dans la case, et même dans le salon planchéié où d’habitude on n’est pas les bienvenus.

Ce soir, il y a également ce vieux couple de la ruelle Tata qui a pris ses quartiers dans la tite chambre en bas qui est celle de la matante. Ils ont apporté leurs gamelles empilables en fer-blanc, ainsi que la tite lampe-alcool pour réchauffer tout ça. Matante a étalé pour eux, à même le béton ciré, un matelas en kapok, et elle se fera encore plus petite dans son petit lit en fer forgé pour que la cadette puisse y dormir aussi.

Le vent et la pluie s’abattent sur la tôle tandis que les enfants jouent loup-cachette dans toute la case, jusque dans le cabinet de toilette où la grande fille de monsieur Mario, à la lueur d’une bougie, essaie de se débrouiller et de se débarbouiller avec la bassine et le broc. Il n’est pas certain que ce dindain de Jean-Hugues soit entré là par erreur.

Il en ressort à grands coups de balai à moulales.

— Lu l’est hardicieux ! s’indigne la baigneuse.

Les éléments se déchaînent, les enfants aussi, et on ne s’entend presque plus jouer. Quelques zocs dans le coco de tête ne calment pas leur excitation ; ils commencent à avoir faim. Chacun fait la queue, son assiette émaillée à la main pour se faire servir depuis le pas de porte de la salle à manger : riz, zembériques et sauce-sardines préparés dans la cuisine-dehors par la matante et madame Mario. On finit de manger, assis par terre où on peut, puis les assiettes vides sont plongées dans la bassine sous la gouttière, en attendant demain et un temps plus joli pour la vaisselle.

Il faut maintenant envisager de caser tout le monde pour la nuit, tandis que les bourrasques se font plus violentes et que la pluie redouble d’intensité. Sur le matelas, sous la table de la salle à manger, on a réussi à placer, tête-bêche dans le sens de la largeur, quatre marmailles qui rouspètent parce qu’il y a un pied dans leur figure et que Maurice y baise toute la couverte pou lu.

La maisonnée finit par s’endormir dans le vacarme intermittent des éléments déchaînés. Mario, de temps en temps, entrebâille la porte-bascule pour mesurer l’étendue des dégâts, se roule une cigarette et boucane ferme en espérant un improbable sommeil.

Le vent faiblit au lever du jour. Dans la cuisine-dehors, on prépare le sosso de maïs et le riz chauffé, tandis que peu à peu les dormeurs émergent de leur mauvais sommeil. On peut aérer la case et se risquer à sortir parmi les feuilles, les branches et les débris divers qui tapissent le paysage d’apocalypse.

Mario, anxieux, se dirige vers sa case et se détend un peu en constatant qu’elle est toujours debout et, semble-t-il, entière, si ce n’est la porte-bascule à l’arrière qui claque sous les dernières rafales. Il ne croit pas se tromper, c’est bien la lueur d’une bougie qui éclaire faiblement la salle. Quel est ce mystère ?

— C’est quoué ça ?

Il voit arriver Antonin qui traîne ses savates-goni jusque sur le pas-de-porte, bâille large et se gratte la tête sous son chapeau mou.

Mario n’est pas peu surpris de trouver là son voisin du bout de l’impasse.

— Mario, dit simplement l’invité, nous l’a trouve vot’ clé sous la grosse roche à côté d’le capillaire, alorsse nous l’a rentré chez vous pou sauver, à cause not’ case l’est pas solide, y coule, et ici la place y manque pas.

Ce cyclone-là n’a pas été trop violent. 

Antonin a retrouvé lui aussi sa paillote intacte (vide de tout occupant) et les tôles noircies de son boucan-cuisine juste déplacées contre le parc cabris.


- Fin du chapitre - 


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Yabécédaire
23. Couillon (suite et fin)

Si vous ne connaissez pas les bonnes manières, 

priez pour avoir les bons réflexes.

Billy Crystal


Madame Eugène, dans les années cinquante, s’était mise en tête de passer son permis de conduire parce que son mari ne conduisant pas, il lui était de plus en plus pénible de prendre le car courant d’air de Pont-Les-Hauts à Saint-Léon pour les soins de ses enfants présents et à venir, pour faire ses courses au bazar ou chez le Zarabe ou simplement aller en partie (que coméla y dit pique-nique, comme si l’était plus joli) au bord de mer ou dans les Hauts, plus haut encore.

Les auto-écoles étant rares et non obligatoires, il fallait trouver un moniteur pour amontrer à madame Eugène comment on amène l’auto, et celui qui alors conduisait la tite Dauphine trois vitesses de son mari était tout désigné.

Pour la circonstance, l’auto deux volants que chantait Maxime Laope aurait été bien sécurisante pour monsieur Victor, mais il mit ses craintes de côté et prit sa mission avec sérieux et abnégation.

Après quelques cours théoriques assez sommaires, l’aventure commença sur les chemins vicinaux où il était rare que s’engagent simultanément les quatre autos, le camion et le car de Pont-Les-Hauts.

Sécurité maximum donc.

De calage en redémarrage hoquetant, de zig en zag, au terme de quelques leçons, le véhicule filait presque droit, malgré les contorsions du moniteur agrippé à la poignée de la portière. Madame Eugène prenait de plus en plus d’assurance et se permettait même des pointes de trente kilomètres par heure, autant dire qu’elle roulait presque en quatrième vitesse, qui était alors une allure inimaginable.

Ils en étaient à la dixième leçon, chemin trou-de-boue, et monsieur Victor dit calmement tandis que l’arrière d’une charrette se rapprochait :

— Madame Eugène, freine !

Pas le plus petit ralentissement. Le moniteur avait les deux pieds au plancher et s’accrochait à la poignée comme à une bouée salvatrice.

— Freine !

Un ou deux km/h de moins, mais rien de bien notable.

— Freine, freine couillon !

L’auto finit par s’immobiliser (et caler) sans dommage, sous le chargement de zavocats marrons qui dépassait de la charrette.

— Ah ! pardon madame Eugène !


- Fin du chapitre - 


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