Yabécédaire
Editeur : UDIR
Auteur : Jean-Louis PAYET
ISBN : 978-2-87863-102-9
Mis en ligne par | Lectivia |
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Dernière mise à jour | 11/10/2024 |
Temps estimé de lecture | 3 minutes |
Lecteur(s) | 5 |
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5. La boule
Ballon l’a roulé, ballon l’a roulé,
l’a roule dann filet.
Le chœur des supporters après un but,
sous les huées de la tribune adverse.
Nos grands-parents ne disaient pas football, encore moins foot, et lorsque leurs ados, nos parents ne rentraient pas à l’heure, ils savaient que leurs marmailles étaient sur le terrain vague, très vague, à courir pieds nus derrière une moque ou une boule de chiffon pour l’expédier entre les deux mâts de choca qui tenaient lieu de buts.
— L’a oncore parti jouer la boule au lieu d’aller rode bois-feu !
Grand-mère aurait du mal à comprendre que ce jeu de marmailles, cet amusement de ti-couillons, puisse faire pleuvoir autant d’argent en dehors des stades et générer autant de batailles, d’autant qu’elle avait pris le mot shoot pour chouchoute, qu’elle avait rougi jusqu’aux oreilles et qu’elle n’osait plus faire répéter.
Quand monsieur le maire de Pont-Les-Hauts, dans les années soixante, a fait raser les raisins-marrons et les galaberts, puis aplanir les bosses du terrain vague pour qu’il devienne terrain de foot, la boule est devenue ballon et un club a vu le jour sous la houlette de la Maison des Jeunes et de la Culture dont un certain président auto-proclamé, prenant la caisse pour son propre porte-monnaie, a développé en quelques mois une démarche de Bibendum et un bel embonpoint de notable dans ses vêtements tout neufs, a troqué ses cigarettes Mélia contre des bouts-filtres, tandis que la culture des jeunes n’avançait pas d’un iota.
Le terrain n’étant pas clôturé et les tirs au but étant encore très approximatifs, les joueurs allaient souvent récupérer le ballon sur la propriété d’en face où poussaient des agrumes. Phénomène troublant, c’est à la pleine saison des mandarines que le ballon atterrissait le plus souvent dans le caro d’où le ramasseur, qui ne ramassait pas que du cuir, ressortait par-dessus le grillage avec le maillot et les joues gonflés.
Derrière les poteaux d’en face, ce n’était pas le même scénario : le ballon était à peine tombé derrière l’entourage qu’une porte à bascule s’entrouvrait pour se refermer quelques secondes plus tard et on ne voyait plus dans la cour de madame Germaine que les fleurs et les planches de légumes un peu écrasés. Pas la peine de s’égosiller en « point personne ? » pour récupérer quoi que ce soit, on aurait dit qu’il n’y avait réellement point personne dans la case fantôme.
Quand après la mort de madame Germaine, des années plus tard, son emplacement a été cédé à la commune, celui qui a ouvert la porte d’une des chambres a chancelé sous la cascade de deux décennies de ballons confisqués qui remplissaient la pièce, du plancher au rebord de la fenêtre.
Le football a conquis Pont-Les-Hauts comme il a cerné la terre entière ; nos clubs successifs ont eu leurs aficionados et ardents supporters-coups-de-poing, sans jamais briller vraiment au firmament de la Ligue Réyonnaise. Nos jeunes ont appris à tirer des corners sans même évoluer sur un terrain : il leur suffisait de se poster au bon endroit au bon moment, par exemple quand la jeune fille descendait de son solex et que sa jupe plissée suivait le mouvement inverse. Si par bonheur on se trouvait juste en face, alors on avait droit direct au penalty, et cela nous faisait monter en première division avec des fanions blancs plein les yeux.
Un club stéphanois a fédéré la nation tout entière et fait longtemps veiller devant leur petit écran des milliers d’inconditionnels qui se faisaient porter pâle le lendemain pour cause de retransmission en direct et aussi d’inconditionnelles qui trouvaient que Platini était beau dans son short moulant.
Quand l’équipe de France est devenue championne du monde à la fin du siècle dernier, ça a été le délire absolu, et pas seulement sur les Champs-Élysées. Le même exploit vingt ans plus tard et le même enthousiasme pouvaient laisser penser que désormais, pas un seul être humain sur la boule bleue ne pouvait ignorer ce sport.
Madame Payet, depuis quelques jours, ne tient plus en place et ne parle que de foute-balle, attendant avec impatience la retransmission télévisée de la rencontre entre deux grands clubs de France. Son favori, c’est quand même celui dans lequel évolue un créole réyonnais. Elle le trouve joli garçon, car il ressemble à son petit-fils.
— Mi savais pas que vi aimais le football, madame Payet.
— Mon Dieu, mon garçon, m’a dire à vous : tous mes enfants y vient à la case, l’est gaillard, mi fais plein de gâteaux, mi fais le café, mais mi comprends pas rien dans zot jeu d’la boule !
- Fin du chapitre -
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Qui pourra remplacer le besoin par l’envie ?
Daniel Balavoine
Beurk ! Car je vais parler d’un mot à double syllabe, commençant par c et finissant par a, familier à tous les petits et que certains adultes, qui s’offusquent du moindre écart de langage et qui ne jurent jamais, jamais à part peut-être un bécalu, voire un taabouret, emploient à tout bout de champ (je n’ai pas dit qu’ils l’ont toujours à la bouche), même, et surtout lorsque vous êtes à table.
— Ben quoi, c’est naturel !
Si vous avez le toupet de vous récrier, c’est pire. Si encore on se contente de vous regarder de travers, non-va, il faut qu’on l’emploie encore une fois devant vous, ce joli mot, juste pour le plaisir.
J’ai donc pris le parti de remplacer ce vilain mot par une esperluette &.
— Voui, comme si vous, vi @ pas vous ! Là, j’ai mis une arobase parce qu’on a employé un verbe chuintant un peu plus âpre.
Lors d’un dîner entre amis, nous en étions au dessert, quand une petite a tiré la manche de sa maman et d’une voix haut perchée a fait savoir qu’elle avait envie de faire &. Tout le monde a parfaitement entendu, sauf la maman qui a voulu s’assurer que c’était bien ce qu’elle avait cru entendre.
— Tu veux faire &, ma chérie ?
— Oui, moin l’a envie de faire &.
La maman s’est levée et a pris la petite par la main, et pour que tout le monde comprenne bien l’importance de ce qu’elle allait faire, elle en a rajouté une couche :
— Escuse à moi, la petite veut faire &.
J’allais me lancer dans une phrase lourde d’ironie qu’on appelle le foutant, du genre veuillez nous tenir informés de la suite des événements. Pas eu le temps. Une voix à la cantonade nous a renseignés, en français malmené :
— Maaa chérie, mais quoi tu as mangé donc ?
La question méritait sans doute d’être posée. J’ai regardé ma coupe de crème au chocolat, mais allez savoir pourquoi, je n’y ai plus touché.
— Tu ne finis pas ta crème ?
— Non, ça ressemble à du &.
Il me restait un filet de vernis social, aussi, cette remarque, ne l’ai-je pas faite à haute voix. Il faut dire que le même mot, selon la personne qui le prononce, n’éveille pas les mêmes images et ne provoque pas les mêmes réactions. D’abord, moi, ils ne m’auraient pas emmené au cabinet, ils m’auraient regardé en graine et, comme ils n’avaient pas vraiment le sens de mon humour, ils ne m’auraient plus jamais invité chez eux.
J’aurais dû.
Finalement, esperluette ou arobase, ici ça ne sert pas à grand-chose, je suis toujours aussi écœuré et je comprends que vous le soyez vous aussi, alors changeons vite de sujet.
- Fin du chapitre -
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Tous ces tournants-là l’a soule à moin ;
quand le car l’arrive en bas la Pointe,
moin l’étais fine casse la pompe trois-quatre fois.
Casser la pompe : l’expression est quasiment passée à la trappe, la plupart du temps, les gens préfèrent dire vomir.
Les mêmes mond’ qui parlent d’& s’attardent sur le rejet de pompe et semblent s’en gargariser. On en disserte à table en n’oubliant pas le préambule : Ce n’est ni le moment ni le lieu, mais… Puis vous trouverez toujours quelqu’un, entre la salade et le plat de résistance, qui a une anecdote encore plus ragoûtante et n’arrive pas à se la caler pour plus tard ou pour jamais. Alors vous gardez pour vous vos haut-le-cœur, parce qu’apparemment vous êtes bien le seul que ça incommode, et qu’il serait très malvenu d’étaler sur la nappe blanche ce dont ils parlent depuis le début du repas.
Cousin Raoul a eu, lui, la délicatesse d’aller jusqu’au perron de la salle à manger pour y déverser une pleine platée de salade russe dans laquelle dominait la betterave. En ce temps-là, on savait vivre.
Un soir que la faim le titillait, Julien a quitté son fauteuil-bière-télé et s’est approché de son épouse qui cuisinait, l’a prise tendrement par la taille et par-dessus son épaule, a jeté un coup d’œil sur ce qui mijotait dans la tite mormite. Il a semblé surpris, jusqu’à relâcher un peu son étreinte. Le compliment n’a pas tardé :
— C’est quoué ce vomi de chien-là ?
La réplique n’a pas tardé non plus, assaisonnée d’une pincée d’agacement, d’un zeste de mauvaise humeur et d’un soupçon d’énervement, à deux pas du hachoir à viande et du gros calou :
— C’est du vomi de chien !
Julien en a repris deux fois en répétant piteusement l’est bien bon, pour tenter de se faire pardonner, mais cette nuit-là, il a quand même dormi sur le cric.
Bon, passons vraiment à autre chose et tant pis pour Julien. Il apprendra à réfléchir un peu, ou à faire lui-même la cuisine, ou les deux.
- Fin du chapitre -
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Rien à voir avec la forme d’un nez, sauf peut-être si ça se rapproche de l’expression avoir un nez sur sa figure, qui signifie qu’on a sa dignité.
Le mot n’est plus guère employé que par les très anciens, lorsqu’en public ils ont commis un impair, une bourde, une bévue et que le rouge leur monte au front.
Moin l’a gaingne la honte ! Moin l’a resse camus !
À ce moment-là, pour se rattraper aux branches, pour minimiser et faire oublier l’incident, ils disent la première phrase qui leur vient à l’esprit et qui n’est pas forcément appropriée. Ce qui souvent renforce encore la camuserie, alors ils bégaient une autre phrase, et ainsi de suite, jusqu’à la fuite salvatrice, parce que ce serait trop long de rentrer sous terre.
Ça s’appelle tirer sa camuserie.
- Fin du chapitre -
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