Yabécédaire

Yabécédaire

Editeur : UDIR

Auteur : Jean-Louis PAYET

ISBN : 978-2-87863-102-9

4,99 €
4.99 EUR 4,99 €
4,99 €
Mis en ligne par Lectivia
Dernière mise à jour 11/10/2024
Temps estimé de lecture 3 minutes
Lecteur(s) 5
Français Inclassable Créole Débutant(e)
Yabécédaire

46. Moi je sais, puisque je suis institutrice

Monsieur et madame ont passé la journée chez leurs enfants à Le-Tang-Salé-les-Bains. En attendant le dîner, toute la famille se retrouve sur la plage à quelques pas de la maison pour admirer le soleil couchant. Marie-Paule, qui ne supporte pas de perdre son temps, a apporté ses aiguilles à tricoter et le cache-cœur qu’elle doit terminer avant l’anniversaire de son amie et collègue. Du haut de sa chaise de plage, et de sa voix d’amontreuse du haut de son pupitre, elle écrase l’auditoire de toute sa supériorité de maîtresse d’école ; elle relate par le menu les aventures de tous les personnages de tous les feuilletons-télé qu’elle a gobés goulûment durant la semaine. Heureusement que les autres s’en moquent parce que même le scénariste ne reconnaîtrait pas sa création si c’est Marie-Paule qui raconte.

Quand, il y a de cela bien longtemps, elle est parvenue à devenir institutrice, elle s’est sentie instantanément auréolée de tout le savoir du monde, nimbée de science infuse et le front ceint de palmes académiques, encouragée en ce sens par sa mère qui répétait à l’envi que si on ne savait pas, il fallait s’adresser à Marie-Paule, quel que soit le sujet, même en chinois, elle vous donnera la bonne réponse, puisqu’elle est essitutrice. Elle s’est alors empressée de s’entourer de tous les attributs de sa profession : un air condescendant, un mari non-fonctionnaire, une baguette de bambou, une règle en fer, une Peugeot 403 et une sœur quasi-analphabète pour s’occuper du ménage et des enfants à venir.

Chez ses collègues masculins, à part l’auto et la maîtresse (pas celle d’école), le plus gros de la panoplie se devait d’être en or : lunettes, stylo, montre, gourmette, épingle de cravate et au moins une dent, au besoin en se faisant arracher une canine saine. On pouvait se passer du jaseran, qui ne se voit que dans des circonstances particulières.

Revenons sur la plage, où ce soir-là donc, le soleil fait aux gens normaux l’ineffable cadeau de toute sa magnificence et Marie-Paule râle parce qu’elle ne distingue plus sa rangée, bécalu !

Bécalu est avec tabouret, le juron le plus soft de la langue créole.

Son mari, qui n’est pas instituteur, profite d’une accalmie dans la logorrhée conjugale pour faire part, avec une émotion à peine contenue, de son émerveillement et de son humilité devant ce spectacle féerique, toujours renouvelé et pourtant jamais semblable, qui depuis l’aube de l’humanité, jette comme un voile somptueux devant l’éternité, et puis cet insondable mystère…

Marie-Paule, en épouse raisonnable, le stoppe net dans ses élucubrations :


Ah vouzote,

ça d’là y fait des vers,

en plein air,

dans la touffe galabert…


Dans sa poésie-moucatage, elle cherche en vain d’autres rimes en air.

Se taire, peut-être ?


- Fin du chapitre - 


Tous les contenus du site internet de Lectivia sont protégés par la loi sur les droits d'auteur. L'utilisation, le partage ou la reproduction de toute partie du contenu sans l'autorisation du titulaire du droit d'auteur ou des ayants droits ou de Lectivia sera punis par la loi en vertu des règlements sur la violation du droits d'auteur et la propriété intellectuelle

Yabécédaire
10. &

Qui pourra remplacer le besoin par l’envie ?

Daniel Balavoine


Beurk ! Car je vais parler d’un mot à double syllabe, commençant par c et finissant par a, familier à tous les petits et que certains adultes, qui s’offusquent du moindre écart de langage et qui ne jurent jamais, jamais à part peut-être un bécalu, voire un taabouret, emploient à tout bout de champ (je n’ai pas dit qu’ils l’ont toujours à la bouche), même, et surtout lorsque vous êtes à table.

— Ben quoi, c’est naturel !

Si vous avez le toupet de vous récrier, c’est pire. Si encore on se contente de vous regarder de travers, non-va, il faut qu’on l’emploie encore une fois devant vous, ce joli mot, juste pour le plaisir.

J’ai donc pris le parti de remplacer ce vilain mot par une esperluette &.

— Voui, comme si vous, vi @ pas vous ! Là, j’ai mis une arobase parce qu’on a employé un verbe chuintant un peu plus âpre.


Lors d’un dîner entre amis, nous en étions au dessert, quand une petite a tiré la manche de sa maman et d’une voix haut perchée a fait savoir qu’elle avait envie de faire &. Tout le monde a parfaitement entendu, sauf la maman qui a voulu s’assurer que c’était bien ce qu’elle avait cru entendre.

— Tu veux faire &, ma chérie ?

— Oui, moin l’a envie de faire &.

La maman s’est levée et a pris la petite par la main, et pour que tout le monde comprenne bien l’importance de ce qu’elle allait faire, elle en a rajouté une couche :

— Escuse à moi, la petite veut faire &.

J’allais me lancer dans une phrase lourde d’ironie qu’on appelle le foutant, du genre veuillez nous tenir informés de la suite des événements. Pas eu le temps. Une voix à la cantonade nous a renseignés, en français malmené :

— Maaa chérie, mais quoi tu as mangé donc ?

La question méritait sans doute d’être posée. J’ai regardé ma coupe de crème au chocolat, mais allez savoir pourquoi, je n’y ai plus touché.

— Tu ne finis pas ta crème ?

— Non, ça ressemble à du &.

Il me restait un filet de vernis social, aussi, cette remarque, ne l’ai-je pas faite à haute voix. Il faut dire que le même mot, selon la personne qui le prononce, n’éveille pas les mêmes images et ne provoque pas les mêmes réactions. D’abord, moi, ils ne m’auraient pas emmené au cabinet, ils m’auraient regardé en graine et, comme ils n’avaient pas vraiment le sens de mon humour, ils ne m’auraient plus jamais invité chez eux.

J’aurais dû.

Finalement, esperluette ou arobase, ici ça ne sert pas à grand-chose, je suis toujours aussi écœuré et je comprends que vous le soyez vous aussi, alors changeons vite de sujet.


- Fin du chapitre - 


Tous les contenus du site internet de Lectivia sont protégés par la loi sur les droits d'auteur. L'utilisation, le partage ou la reproduction de toute partie du contenu sans l'autorisation du titulaire du droit d'auteur ou des ayants droits ou de Lectivia sera punis par la loi en vertu des règlements sur la violation du droits d'auteur et la propriété intellectuelle

Yabécédaire
9. Cabot de fond

Quand le canot’ de Tétin rentre de sa pêche au large et s’engage dans la passe de Le-Tang-Salé, on remonte les rames bien avant le rivage ; les amateurs de bon cari sont déjà dans l’eau, pantalons retroussés et, tout en halant l’embarcation sur le sable noir, choisissent le poisson dont ils se régaleront le soir même. Parmi rouges et grand-queues, on repère la masse sombre et les yeux exorbités du cabot de fond. J’aurais sans doute les mêmes yeux si on me sortait d’un coup des grandes profondeurs au bout d’un zin et d’un ver-à-soie, c’est-à-dire d’un hameçon et d’une ligne.

Ce poisson a la préférence des connaisseurs pour sa chair fine et savoureuse, à préparer exclusivement en cari et à servir sur du riz blanc pour un bouquet de saveurs que réveille encore un rougail zévi.

Ma bouche y fait de l’eau.

Au soleil couchant, on écaille et on vide le poisson au bord du lagon pendant que matante prépare les épices. Souvendèsfois, ma matante passe chez nous les vacances de juliet pour aider maman à gérer sa ribambelle d’enfants. On dîne à la lueur de la lampe à pétrole parce qu’il n’y a pas l’estrécité et que les grands aiment bien voir leurs plats.

À tour de rôle, nous avons dans notre assiette les yeux cuits du cabot de fond (on cuit tout) pour le plaisir de jouer avec les deux ti canettes blanches une fois la gélatine avalée. Les marmailles savent apprécier la chair du poisson sans craindre les arêtes que l’industrie alimentaire n’extrait pas encore pour eux et qu’ils entassent sur le bord de l’assiette. Autres poissons délicieux, le sap sap, plus d’arêtes que de chair, et le macabit avec sa belle parure, nageant dans le corail ou offert sur l’assiette dans son lit de sauce rougail.

Dans son boucan-cuisine, à l’angle de deux chemins de sable, madame Victoire prépare la sauce pendant que, dans le lagon tout proche, chaussés d’un bout de roue de l’auto, ses deux grands pêchent le zourite à la fouine que le mond’France y dit foëne. Ils retournent le bonnet de la bête et attendrissent ses tentacules en les tapant sur le récif. Ce sera leur repas du soir.

Cela se passait à la fin des années cinquante, avant que les accapareurs n’achètent par avance la totalité de la pêche pour la revendre au détail et au prix du caviar.

Ti cabot d’fond, ça n’a point la raison, assure-t-on dans la chanson.

Les accapareurs non plus.



- Fin du chapitre - 


Tous les contenus du site internet de Lectivia sont protégés par la loi sur les droits d'auteur. L'utilisation, le partage ou la reproduction de toute partie du contenu sans l'autorisation du titulaire du droit d'auteur ou des ayants droits ou de Lectivia sera punis par la loi en vertu des règlements sur la violation du droits d'auteur et la propriété intellectuelle

Yabécédaire
8. Cabot

Le mot désigne avant tout le sexe de l’homme réunionnais. On le chantait autrefois, roulé dans la cendre, tandis que sur la braise, grillaient les chouchoutes.

Notre folklore nous indique également que celui (mol) d’Anatole l’a resse pris dans la moque en tôle. Cela montre que naguère, on savait s’amuser d’un rien, et que l’imagination de certains était sans limite.

Quand même, Anatole !

Quand tu descendais dans les Bas et que tu énervais bien Moutoussamy, il t’invitait à manzer le sien en prenant bien garde de respecter la peau. Chacun prend soin de ses affaires comme il l’entend. Moutou accompagnait toujours son offre d’un geste précis que, depuis, Mickaël Jackson a popularisé. Devrais-je dire vulgarisé ?

S’il y a eu des gens qui se sont laissé tenter, on peut logiquement se demander comment Malbar s’y est pris pour assurer sa descendance.

Autrement, oubliez les chiens et les m’as-tu-vu du dictionnaire français, car nos cabots à nous sont aussi de fond, de rivière ou sauteurs. Ceux de nos ravines à Pont-Les-Hauts ont totalement disparu il y a belle lurette, traqués sans répit par une horde de braconniers obtus et également à cause des tonnes de pesticides déversés depuis des décennies par nos braves agriculteurs à qui des grossium grozozo ont fait croire que c’était là l’avenir de leurs tomates et de leur compte en banque.


- Fin du chapitre - 


Tous les contenus du site internet de Lectivia sont protégés par la loi sur les droits d'auteur. L'utilisation, le partage ou la reproduction de toute partie du contenu sans l'autorisation du titulaire du droit d'auteur ou des ayants droits ou de Lectivia sera punis par la loi en vertu des règlements sur la violation du droits d'auteur et la propriété intellectuelle

Yabécédaire
7. Butte

Heureux les cochons qui occupent toute leur tête 

à manger et ne parlent qu’avec la queue.

Jules Renard


On ne présente plus la butte Montmartre, ni les Buttes-Chaumont. Permettez-moi de vous parler un peu de celle qui fait la renommée et la fierté de notre pays : la butte du yab.

Au réfectoire du lycée de Saint-Urbain, les internes se regroupent par affinités autour des tables octogonales et gardent leur place tout au long de l’année scolaire. Une de ces tables est reconnaissable entre toutes, car elle rassemble huit yabs dans la force de l’adulescence venant des huit coins de notre île qui n’est pas à un coin près, et pour qui de bonnes études ne peuvent se concevoir sans un estomac bien rempli. Ils n’ont pas tort, tous les nutritionnistes vous le diront.

Ces huit-là font d’excellentes études, et même si les résultats de fin de trimestre restent médiocres, ce n’est pas leur essentiel. 

Derniers à entrer en classe, ils sont les premiers à se précipiter dans le réfectoire où les tables sont déjà servies, avec des rations calculées au plus large, mais pour huit élèves non-yabs. À leur tablée, garçon refait, placide, le plein du plat de riz toutes les trois assiettes, idem pour le cari, quel qu’il soit ; pour les grains, deux plats suffisent parfois. Piment vert crazé à volonté.

Voici comment on se sert chez nos amis : une première couche de riz chaud épouse presque le contour de l’assiette, on dame avec le dos de la cuillère et on pose la deuxième couche ; on re-dame pour accueillir la troisième et dernière couche en donnant à l’ensemble la forme d’un piton au flanc duquel on accroche à pleine louche les gros pois, et on couronne l’œuvre par un chapeau de cari foie d’bœuf. Petite touche déco : une cuillerée à soupe de sauce-piment qui relèvera les deux piments verts qu’on croque à chaque bouchée.

Ils disparaissent derrière leur assiette fumante, comme le gratteur de pioche disparaît derrière le brouillard de Piton Calebasse.

Les ripailles commencent ; chacun salive et se dandine pour trouver le bon angle d’attaque. Et maintenant, silence absolu. On ne fait pas deux choses à la fois, sinon aucune n’est réussie. Là on mange et le ballet des couteaux-fourchettes est prodigieux, le rythme est soutenu, les schlrp sont quasiment synchronisés, les reniflements-piment aussi, et les buttes s’érodent comme en accéléré au cinéma.

Ne leur parlez pas de dessert, le plus souvent c’est pomme ou banane et mi remplis pas mon vente ec ça !

Le club des huit se plaint un peu du petit déjeuner parce qu’il n’y a pas de riz chauffé, mais ils se rattrapent aux autres repas, sauf à celui du dimanche soir où il n’y a vraiment rien à manger que du pain, du jambon, du saucisson, du pâté, de la laitue, des tomates, des olives et des cornichons. Ils ne touchent à rien et regardent comme des Martiens les inconscients qui font honneur au plat, surtout avec la mayonnaise.

L’un d’eux, par la suite, ne sortira de son île qu’une malheureuse fois pour rendre visite à sa sœur en France (France métropolitaine comme on dit Réunion ultramarine). Chez elle, il se nourrira normalement, comme tout être humain sur la planète, c’est-à-dire riz, grains, cari, rougail. Parfois ils étaient invités et il observait, ahuri, ces gens qui étaient capables, sans sourciller, de cuisiner et d’oser lui présenter ces ‘spèces manger-cochon qu’il n’effleurait même pas du bout de sa fourchette.

Son séjour prévu d’une semaine à Londres a duré une semaine de moins : il a effectué le retour juste après avoir vu et senti ce qu’on lui a servi, et constaté que sur aucun menu on ne proposait de vrais repas avec driz. Retour précipité en France, donc et dans la foulée à La Rénion où, depuis, il s’alimente comme une personne saine de corps et d’esprit, mais qui ignore absolument comment on cuisine et ne veut pas le savoir, à cause ça, c’est z’affaire de fanmes.


En ces temps reculés, le réfectoire du lycée de Saint-Urbain ne dispose pas encore de système d’éclairage-relais automatique en cas de coupure de courant ; il sera installé dans la semaine suivant « l’incident ».

L’incident :

Noir complet au milieu du repas. Le brouhaha s’arrête une demi-seconde, suivi d’un ooh général, puis il se met à pleuvoir dru à partir de brocs d’eau entiers lancés à la volée, les brocs avec ; lorsque suivent des matières plus consistantes, commensaux, surveillants et serveurs plongent sous les tables pour se mettre à l’abri. Les assiettes entamées deviennent soucoupes volantes happées par l’attraction terrestre. Dans une joyeuse musique de steel-band, les plats creux en inox achèvent leur vol plané sur le carrelage après avoir éparpillé leur contenu au hasard de leur trajectoire ; on entend exploser et se répandre les verres Duralex (sed lex).

Cette belle ambiance semble ne devoir finir que faute de munitions, lorsque la lumière revient pour éclairer un spectacle de totale désolation : plus rien d’entier sur les tables, tout par terre et en vrac, la fresque murale cubiste peinte par monsieur Fulconis s’est agrémentée de quelques touches alimentaires indéfinissables qui ne la rendent pas inintéressante. Une à une émergent de dessous les tables les têtes faussement navrées de ceux qui jurent n’avoir rien lancé, eux.

Dans ce désastre d’après-cyclone, comme un îlot épargné, la table du club des huit. Ils ont tous protégé leur assiettée de leurs bras en cercle et de leur buste, tels des légionnaires romains avec leurs boucliers dans la manœuvre dite de la tortue. Leurs cheveux et leur dos maculés et dégoulinants de sauce foie de bœuf aux gros pois témoignent de leur abnégation à défendre ce qui leur est cher.

Ils se re-calent sur leur chaise et, sans un mot, en marmailles responsables qui ne tolèrent ni le gaspillage ni qu’on s’amuse avec la nourriture, ils se concentrent sur la fin de leur repas, leur restant de butte sauvée du déluge.



- Fin du chapitre - 


Tous les contenus du site internet de Lectivia sont protégés par la loi sur les droits d'auteur. L'utilisation, le partage ou la reproduction de toute partie du contenu sans l'autorisation du titulaire du droit d'auteur ou des ayants droits ou de Lectivia sera punis par la loi en vertu des règlements sur la violation du droits d'auteur et la propriété intellectuelle

Yabécédaire
6. Boutique chinois

Ti chinois rend’ zallumettes.

Ti chinois rend’ cigarettes.


Folklore oublié, d’un temps où le commerçant chinois ne vous rendait pas bêtement votre monnaie en centimes, mais en équivalent cigarettes, allumettes, loriots, sucettes, bonbons gras ou gâteaux de lune.

Allez faire ça vous coméla !

Nos anciens ont noté que sitôt que trois cases poussent dans les Hauts, une boutique chinois vient s’installer pas loin. C’est une aubaine pour tout le monde, car on y trouve non seulement l’essentiel pour la survie d’une famille mais aussi parfois le superflu, qui est chose très nécessaire, comme disait Voltaire.

En entrant dans la boutique, on est envahi par les fragrances mêlées de toutes les marchandises stockées dans si peu d’espace : saucisses, boucané, andouilles et fromage cochon dans un garde-manger, caisses de morue et de sounouk, bichiques secs et chevaquines, le fer-blanc de graisse et sa spatule, bac pétrole, savons de Marseille en pyramide, casiers de bois pour le riz en vrac, le gros sel, les haricots rouges, les pois d’cap ; le maïs dans le gouni col roulé posé par terre ; le commerçant en remplit une écope en fer-blanc dont il verse le contenu dans un cornet-journal posé sur la balance Roberval ; il ferme le cornet, le place dans votre tente.

— Quoi na besoin oncore ?

Tout, il a tout : boites de conserve, vins et spiritueux sur les étagères derrière le comptoir, bonbons cravate, bonbons miel, gâteaux secs dans le haut des bahuts vitrés, sucres d’orge, boules de chouime-gomme et autres loriots dans les gros bocaux de verre.

Besoin de rustines ou de patins de frein ? Nana. Ain parsol ? Choisis ! Ils sont accrochés à une ficelle au plafond, à côté des chemises sur leur cintre, pas loin de la grosse lampe à pression à bec Auer.

Fil à coudre et tissus ? Voyez le coin mercerie derrière lequel on passe en rentrant le ventre pour ne pas chavirer les rouleaux de toile. Bec plume, estylo-bille toutes couleurs, cahier quadrillé, protège-cahier, plumier, encre Waterman ? Le coin papeterie vous fournit de quoi ne pas rester bête. Caro, pulvérisateur pour poudre DDT, éventail en os, parfum pour madame, Soir de Paris, nana, Pompéïa aussi. Après ?

Il y a place encore, sous la baraque attenante, pour le bar et ses tables de belote ou de dominos, et on continue la partie même après la fermeture, car une tournée, c’est quatre verres qui en entraînent d’autres jusqu’à vider quelques bouteilles et faire sonner le tiroir-caisse ; et tant pis si en sortant de là, certains ne savent plus trop bien s’il faut prendre à droite ou à gauche pour rentrer la case quand ils ne calbutent pas direct dans la cuvette.

Ubald s’approche du comptoir et semble vouloir payer une tournée générale :

— Quand Ubald y boit, tout le monde y boit ! annonce-t-il haut et fort.

Les ti-verres sont alignés sur le comptoir en bois. Les invités, alignés aussi admirent en silence la dextérité du serveur. On entend voler l’esprit de canne, puis, sans signal aucun, dans une parfaite synchronisation, chaque main cueille chaque verre, chaque tête en arrière, chaque gosier avale et on repose son verre avec un aaah de bien-être.

— Quand Ubald y paye, tout le monde y paye !

C’est un farceur, Ubald, mais ce soir-là trois camarades dont un pas saoul mais fauché, au-cul, se sont fâchés avec lui.

Ce qu’on a oublié d’acheter aujourd’hui chez son Chinois, on peut revenir le chercher, même le dimanche après-midi. Il suffit de passer par derrière la palissade de tôle ondulée et de toquer à la fenêtre, il y a toujours une permanence disponible et persuasive pour vous fourguer ce dont vous n’avez pas vraiment besoin. Commerce oblige.

Quand on passe à la caisse, ou plutôt au boulier, on paye rarement comptant, on sort le carnet-crédit qui vous permet de vous croire riche jusqu’à l’échéance de paiement ; la plupart des boutiques chinois vous ouvrent un crédit illimité, sans crainte des galets que certains ne manquent pas de poser, parfois sans une tioque de malhonnêteté.

Voyez Nicaise par exemple :

Nicaise cultive quelques gaulettes de cannes qui le font vivre assez correctement. Il a, comme tout le monde, son carnet-crédit chez Chane-Chang qu’il rembourse dès que l’usine de Pierremont lui verse son règlement annuel. Tout s’est toujours bien passé au temps de son célibat. Jeune marié, il rentre à la case un beau soir et confie fièrement la totalité de ses francs CFA à sa femme qui s’empresse de serrer tous les billets dans la boite Guigoz, et la boite dans un endroit connu d’elle seule ; ils dînent et s’en vont se coucher et coucher sereinement, car ce n’est pas seulement le porte-monnaie de Nicaise qui est gonflé.

Après sa journée de travail, le lendemain, il décide de passer à la boutique pour boire un coup et payer ses dettes. Il demande à Léa, sa femme, de lui donner la somme qu’il a inscrite sur son carnet-chinois.

— Ça qu’l’a rent dans la case y sort pu ! répond tranquillement Léa.

Nicaise croit d’abord à une plaisanterie, ce qui ne manque pas de l’étonner, car Léa est de celles qui prennent tout au premier degré. Elle ne rit qu’aux flatulences ou lorsque quelqu’un tombe, sauf elle, et on doit précisément lui expliquer pourquoi il faut rire après que tout le monde a ri : elle hausse alors les épaules en faisant pfff !

C’est qu’elle garde un très mauvais souvenir de ce jeudi de catéchisse où à la question : Pourquoi Adam et Ève ont-ils étés chassés du Paradis ? Elle a répondu :

— Ben d’awoir zot l’a pas paye loyer.

Ce n’était pas très bien formulé, mais elle n’était pas loin de la bonne réponse. La maîtresse-catéchisse, sans rire, a dit : Hein hein, non l’est pas ça que l’est marqué dans le livre, tandis que toutes ses camarades n’arrêtaient pas de pouffer de rire en la pointant du doigt.

Cette histoire se passait la même semaine que celle où le curé est sorti du confessionnal avec un rire contenu, pour informer gentiment la maîtresse-catéchisse qu’étant donné que tous les marmailles n’arrêtaient pas de lui parler de son repas de jeudi, moizelle Josiane serait bien avisée de leur expliquer la vraie formule de fin de confesse, quand on demande pardon à Dieu… et à vous, mon père, pénitence et absolution si vous m’en jugez digne, et non si vous mangez jeudi.

Nous retrouvons Nicaise, un peu sonné, qui lui dit : Hein ? Quoué ? Et elle répète, sans forcer le ton, comme on récite une leçon, oui, ce qui est entré dans la maison n’en ressort plus.

— Ben là moin l’est joli moin-là !

Des jours durant, il met la case sens dessus dessous pour trouver la boite Guigoz, bernique, et pour cause, madame a préféré le ti-magasin et son capharnaüm ; il fait le siège de la forteresse Léa, sans succès, usant de toutes les armes dont il dispose : douceur et gentillesse, persuasion nocturne, proverbes :

Qui paie mes dettes m’enrichit,

un pauvre sans dette est un homme riche,

l’argent ne fait pas le malheur du Chinois.


Il brandit la menace des gendarmes et de la prison pour lui-même puis, avant d’en venir au divorce, l’idée lui vient d’en parler à sa belle-mère, en présence de Léa, car une belle-mère est toujours de bon conseil, comme disent les belles-mères.

Le lendemain soir, il règle ses dettes à la boutique, sans avoir étranglé personne.

En effet, madame Albert n’a pas mis longtemps à comprendre le problème de sa fille. C’est elle qui ne cessait de répéter à la jeune et pimpante Léa, alors que celle-ci avait tendance, en diminuant la superficie de ses vêtements et en accentuant son déhanché, à se conduire de manière trop légère vis-à-vis des garçons, qu’un « accident » est vite arrivé, ma fille, et que si on tombe enceinte, on ne peut plus revenir en arrière ; d’où l’allégorie-parabole qu’elle avait imaginée pour marquer l’esprit de Léa : Ça qui rent’ dans la case y sort’ pu. Léa prenait tout au pied de la lettre, ne sachant pas elle-même où était la lettre, ni où était son pied. 

Enfin, après avoir rouvert le ti-magasin et la boite Guigoz, Léa a ouvert tout grand la porte de sa case, puisqu’à peine un an plus tard, elle a mis au monde son premier ti-baba, qui est le père de la jeune femme que vous voyez aujourd’hui charger fébrilement son caddy sous les néons d’une grande surface, son portable à l’oreille avec ses trois marmailles qui courent dans tous les sens et la grande qui boude un boudin de trois livres, comme de quoi elle y veut, y veut, y veut ain’ tablette (pas de chocolat) comme toute la bande.

— Vous l’est ostinée comme vot’ gros-mère, ma tite fidgarce !



- Fin du chapitre - 


Tous les contenus du site internet de Lectivia sont protégés par la loi sur les droits d'auteur. L'utilisation, le partage ou la reproduction de toute partie du contenu sans l'autorisation du titulaire du droit d'auteur ou des ayants droits ou de Lectivia sera punis par la loi en vertu des règlements sur la violation du droits d'auteur et la propriété intellectuelle

Yabécédaire
5. La boule

Ballon l’a roulé, ballon l’a roulé,

l’a roule dann filet.

Le chœur des supporters après un but, 

sous les huées de la tribune adverse.


Nos grands-parents ne disaient pas football, encore moins foot, et lorsque leurs ados, nos parents ne rentraient pas à l’heure, ils savaient que leurs marmailles étaient sur le terrain vague, très vague, à courir pieds nus derrière une moque ou une boule de chiffon pour l’expédier entre les deux mâts de choca qui tenaient lieu de buts.

— L’a oncore parti jouer la boule au lieu d’aller rode bois-feu !

Grand-mère aurait du mal à comprendre que ce jeu de marmailles, cet amusement de ti-couillons, puisse faire pleuvoir autant d’argent en dehors des stades et générer autant de batailles, d’autant qu’elle avait pris le mot shoot pour chouchoute, qu’elle avait rougi jusqu’aux oreilles et qu’elle n’osait plus faire répéter.

Quand monsieur le maire de Pont-Les-Hauts, dans les années soixante, a fait raser les raisins-marrons et les galaberts, puis aplanir les bosses du terrain vague pour qu’il devienne terrain de foot, la boule est devenue ballon et un club a vu le jour sous la houlette de la Maison des Jeunes et de la Culture dont un certain président auto-proclamé, prenant la caisse pour son propre porte-monnaie, a développé en quelques mois une démarche de Bibendum et un bel embonpoint de notable dans ses vêtements tout neufs, a troqué ses cigarettes Mélia contre des bouts-filtres, tandis que la culture des jeunes n’avançait pas d’un iota.

Le terrain n’étant pas clôturé et les tirs au but étant encore très approximatifs, les joueurs allaient souvent récupérer le ballon sur la propriété d’en face où poussaient des agrumes. Phénomène troublant, c’est à la pleine saison des mandarines que le ballon atterrissait le plus souvent dans le caro d’où le ramasseur, qui ne ramassait pas que du cuir, ressortait par-dessus le grillage avec le maillot et les joues gonflés.

Derrière les poteaux d’en face, ce n’était pas le même scénario : le ballon était à peine tombé derrière l’entourage qu’une porte à bascule s’entrouvrait pour se refermer quelques secondes plus tard et on ne voyait plus dans la cour de madame Germaine que les fleurs et les planches de légumes un peu écrasés. Pas la peine de s’égosiller en « point personne ? » pour récupérer quoi que ce soit, on aurait dit qu’il n’y avait réellement point personne dans la case fantôme.

Quand après la mort de madame Germaine, des années plus tard, son emplacement a été cédé à la commune, celui qui a ouvert la porte d’une des chambres a chancelé sous la cascade de deux décennies de ballons confisqués qui remplissaient la pièce, du plancher au rebord de la fenêtre.


Le football a conquis Pont-Les-Hauts comme il a cerné la terre entière ; nos clubs successifs ont eu leurs aficionados et ardents supporters-coups-de-poing, sans jamais briller vraiment au firmament de la Ligue Réyonnaise. Nos jeunes ont appris à tirer des corners sans même évoluer sur un terrain : il leur suffisait de se poster au bon endroit au bon moment, par exemple quand la jeune fille descendait de son solex et que sa jupe plissée suivait le mouvement inverse. Si par bonheur on se trouvait juste en face, alors on avait droit direct au penalty, et cela nous faisait monter en première division avec des fanions blancs plein les yeux.

Un club stéphanois a fédéré la nation tout entière et fait longtemps veiller devant leur petit écran des milliers d’inconditionnels qui se faisaient porter pâle le lendemain pour cause de retransmission en direct et aussi d’inconditionnelles qui trouvaient que Platini était beau dans son short moulant.

Quand l’équipe de France est devenue championne du monde à la fin du siècle dernier, ça a été le délire absolu, et pas seulement sur les Champs-Élysées. Le même exploit vingt ans plus tard et le même enthousiasme pouvaient laisser penser que désormais, pas un seul être humain sur la boule bleue ne pouvait ignorer ce sport.


Madame Payet, depuis quelques jours, ne tient plus en place et ne parle que de foute-balle, attendant avec impatience la retransmission télévisée de la rencontre entre deux grands clubs de France. Son favori, c’est quand même celui dans lequel évolue un créole réyonnais. Elle le trouve joli garçon, car il ressemble à son petit-fils.

— Mi savais pas que vi aimais le football, madame Payet.

— Mon Dieu, mon garçon, m’a dire à vous : tous mes enfants y vient à la case, l’est gaillard, mi fais plein de gâteaux, mi fais le café, mais mi comprends pas rien dans zot jeu d’la boule !


- Fin du chapitre - 


Tous les contenus du site internet de Lectivia sont protégés par la loi sur les droits d'auteur. L'utilisation, le partage ou la reproduction de toute partie du contenu sans l'autorisation du titulaire du droit d'auteur ou des ayants droits ou de Lectivia sera punis par la loi en vertu des règlements sur la violation du droits d'auteur et la propriété intellectuelle

Yabécédaire
4. Baiser, donc

L’acception du mot créole baiser est connue de tous et s’il est inconvenant d’en parler, il aurait été indécent de passer à côté, puisque le verbe et son substantif émaillent toute phrase bien pensée de nos discussions et s’apprennent naturellement dès le primaire, au grand désespoir de certains parents qui ne jurent pas.

Mais ces mots semblent assez rudes, je les remplacerai donc comme je le faisais parfois sur les conseils d’adultes pudiques par pistache et ses dérivés.

Le sens premier que nous donnons à pistacher n’a que peu de rapport avec celui qui a cours en France hexagonale. Ainsi, l’odieux personnage qui bat son épouse, s’il lui vient l’idée de s’en vanter dira :

— Moin l’a pistache à elle !

Alors que si un jour il parvient à lui faire l’amour, il ne dira rien du tout. Les odieux personnages de chez nous étant parfois un peu pudibonds.

Pistache pour quelques-uns d’entre nous n’est pas un juron mais un mot comme un autre, voire mieux qu’un autre pour bien exprimer ce qu’on a sur le cœur, ou simplement entretenir une conversation.

Julot, agriculteur de son état, n’a que peu apprécié l’intrusion dans sa vie des Hauts de la cassette vidéo.

Vie des Hauts.

C’est un camarade qui lui a expliqué le calembour et Julot a juste haussé les épaules.

Il était croyant-pratiquant et considérait qu’un dimanche sans messe était une part d’éternité perdue. Or, sa femme, le samedi soir, ne trouvait rien de mieux à faire que de louer deux films qu’elle essayait d’apprécier sans ronfler jusqu’au générique de fin. Pendant ce temps, lui dormait du sommeil du juste et il avait, le lendemain, toutes les peines du monde à la réveiller pour être à l’heure à l’église. Il s’en plaignait en expliquant au curé, sur le parvis, que pou faire lève ça d’là pou aller la messe, là, mon père…

Son index battait la mesure en direction de la coupable.

— Ben ou va baise vot’ nénène !

Il m’arrive, comme Julot, d’oublier les conseils des adultes concernant les mots de substitution.


Un autre encore, chouchoute-et-la-morue avec sa compagne l’appelait toujours chérie, mais lorsque chérie mettait un peu trop de temps à répondre ou qu’elle le mécontentait un tant soit peu, elle avait droit à :

— Chérie, pistache ta mère, où qui l’est mon portefeuille ?

Donc, dans la bouche de beaucoup de braves gens, ce n’est pas un gros mot, et si à la question : Qu’est-ce qui t’est arrivé ? Vous vous contentez de répondre : Je suis tombé ou bien je me suis ramassé, ou encore j’ai pris une gamelle, vous ne retiendrez l’attention ni l’empathie de personne tandis que, au choix :

Moin l’a pistache ain’ plané !

Moin l’a pistache ain’ pluché !

Moin l’a gaingne ain’ pistache !


Voilà qui est autrement plus sérieux, et même si ça fait autant mal, vous aurez au moins mis les formes pour le dire.

Nous avons dans les Hauts une certaine propension à pistacher beaucoup de choses : le chemin, lorsqu’on s’en va ; ta mère, ta nénène quand on n’est pas très content ; un bout de pain ec ain’ figue et ain’ côte chocolat pour le goûter quand on a faim ; ain’ tape dans la tête du zoizo-la-plume qui vous embête ; ain’ botté dans la fesse du même boug s’il insiste ; ain’ ventre letchis à la saison ; ain’ tête dans le poteau quand on est distrait ; la science quand on prétend tout savoir sur tout ; ain’ voltage quand on est gardien de but et qu’on empare un pénalty. 

Ayons une pensée pour le pistacheur de paquet qui n’est pas un individu fréquentable et arrêtons la liste, sinon on va dire des horreurs.

Je me permets une petite parenthèse tendre pour évoquer matante Lydie quand nous lui avons demandé ce qui lui était arrivé pour que son visage soit couvert de bleus et graffiné. Matante n’a pas mis de ponctuation pour nous répondre et sans reprendre son souffle, sans employer une seule fois le verbe en question, alors que le commun des mortels créoles en aurait abusé :

— Mafi, assez vous ! À mon âge-là, moi l’a trouve moyen d’faire ain’ parterre. Mimose ‘tait à côté d’moi, Mimose l’a dit comme ça maaamère vous n’a pu d’figure !

Elle ne s’est pas exprimée de façon classico-créole et nous avons tous fondu parce que c’était notre gentille matante d’un autre âge.

— Là, nous l’a ri, là, pistache ta mère !


Baiser. Le mot est doux, disait Cyrano, je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l’ose.

J’ai le sentiment que, nous autres et lui, ne parlons pas de la même chose, parce que depuis que je suis enfant, à chaque fois que ma lèvre a osé, j’ai gagné une pistache et jamais un baiser.


 

- Fin du chapitre - 


Tous les contenus du site internet de Lectivia sont protégés par la loi sur les droits d'auteur. L'utilisation, le partage ou la reproduction de toute partie du contenu sans l'autorisation du titulaire du droit d'auteur ou des ayants droits ou de Lectivia sera punis par la loi en vertu des règlements sur la violation du droits d'auteur et la propriété intellectuelle

Yabécédaire
3. Baiser

Il y aurait bien eu pour commencer en beauté : A comme amour, mais chez nous ce serait plutôt M comme moure, puisqu’on parle de la moure et encore c’est un mot tabou qu’on emploie presque exclusivement dans l’expression faire ain’ ti brin d’moure.

Le père de la mariée, par exemple, lèvera pudiquement son verre à l’amitié du jeune couple. Leurs histoires de moure, il est inconcevable qu’il en parle.

Quand il était jeune gens, il avait une belle qu’on appelait aussi une amoureuse, puis une fiancée, qui était la même. Il se mariait avec la même-même et à partir de ce moment, la moure, il avait le droit de la faire, mais pas de le dire.


- Fin du chapitre - 


Tous les contenus du site internet de Lectivia sont protégés par la loi sur les droits d'auteur. L'utilisation, le partage ou la reproduction de toute partie du contenu sans l'autorisation du titulaire du droit d'auteur ou des ayants droits ou de Lectivia sera punis par la loi en vertu des règlements sur la violation du droits d'auteur et la propriété intellectuelle


Yabécédaire
2. Doucement le matin

ls sont assis côte à côte, au bout de leurs quatre-vingts ans, sur leur chaise-gol dans la cusine, quand le téléphone se met à sonner. Un, deux, trois drings.

Pépé ne s’affole pas, vu qu’il n’entend rien de l’oreille droite et pas grand-chose de la gauche.

— C’est le téléphone ça, dit mémé, sans bouger d’un pouce.

— Hein ? dit pépé.

— Le té-lé-phone, articule mémé, tandis que retentit la sixième sonnerie, et qu’elle ne se décide toujours pas à se lever.

— Qui ça y peut être ?

Pépé hausse les épaules et se désintéresse de la question.

— Y peut pas être Mathilde, s’interroge mémé. À cause elle y appellerait ? Moin l’a vu à elle hier.

Neuvième sonnerie : mémé prend appui sur la table.

— Donne à moin ain’ chemin, va ! dit-elle à pépé.

C’est par cette formule que chez nous, on dit : pardon, laisse-moi passer.

Pépé bougonne mais obtempère à la douzième sonnerie, laissant ainsi la voie libre à mémé qui tient quand même à vérifier, au passage, si elle a bien rempli la gamelle du chat.

À la quinzième sonnerie, la voilà presque à portée de main de l’appareil mais elle ne peut tout de même pas laisser ce désordre sur la table ; un minimum de rangement s’impose.

Elle finit par s’asseoir sur la chaise en formica, prend le combiné, dit allô allô allô, et le repose en informant pépé, qui ne demandait rien, que zot l’a raccroché.

— Ah ben débrouille à zot si zot y gagne pas attendre !



- Fin du chapitre - 


Tous les contenus du site internet de Lectivia sont protégés par la loi sur les droits d'auteur. L'utilisation, le partage ou la reproduction de toute partie du contenu sans l'autorisation du titulaire du droit d'auteur ou des ayants droits ou de Lectivia sera punis par la loi en vertu des règlements sur la violation du droits d'auteur et la propriété intellectuelle

Yabécédaire
1. Allô

Un visionnaire du temps de mon arrière-grand-mère lui avait dit qu’un jour on entendrait à Pont-les-Hauts quelqu’un parler depuis la France, vi rend à vous compte, madame Jeanne, depuis la France !

Mon aïeule avait pris sa tête entre ses mains.

— Mon Dieu, où ça que nous l’est rendus ?

— Je ne sais pas, grand-mère Jeanne, où nous sommes rendus, mais nous y sommes en plein, et ça ne me déplaît pas trop, car l’information circule bien plus vite, pas forcément mieux, tout dépend du récepteur.


- Fin du chapitre - 


Tous les contenus du site internet de Lectivia sont protégés par la loi sur les droits d'auteur. L'utilisation, le partage ou la reproduction de toute partie du contenu sans l'autorisation du titulaire du droit d'auteur ou des ayants droits ou de Lectivia sera punis par la loi en vertu des règlements sur la violation du droits d'auteur et la propriété intellectuelle